Bas-relief du temple Bayon - Angkor Thom - Le roi exhibe son éléphant dressé

La vie quotidienne au royaume d’Angkor

Lorsque l’on visite les vestiges d’Angkor et ses centaines de temples en ruines, il est difficile d’imaginer que des palais, des maisons, des marchés et des rues grouillant de vie côtoyaient autrefois ces lieux. A quoi ressemblait la vie dans la ville d’Angkor? Cette extraordinaire cité qui se développa entre le IXème et le XVeme siècle comptait près de 750 000 habitants à son apogée. Comment subvenait-elle aux besoins de ses habitants? Comment s’organisait la cité? L’archéologie, les écrits et les bas-reliefs d’Angkor lèvent progressivement le voile sur ces questions.

Une ville dense et étendue

Si ses temples constituent un trésor inestimable, le site archéologique d’Angkor ne se limitait pourtant pas à ces constructions en pierre. Angkor était une immense ville abritant des milliers d’habitants, des maisons et des palais royaux. Seulement, les historiens et archéologues se heurtent à un problème de taille ; si les temples étaient construits en pierre, résistants ainsi à l’épreuve du temps, il n’en va pas de même pour les habitations et les palais construits en bois. De plus, les maisons de l’époque angkorienne étaient construites au-dessus du sol ce qui rend la tâche encore plus difficile pour les archéologues qui étudient le sol à la recherche de traces du passé.

Les scientifiques lèvent aujourd’hui le voile sur de nombreux mystères grâce aux nouvelles technologies comme le lidar, un laser très puissant qui révèle ce qui est caché par la forêt et inobservable à l’oeil nu. Traversant la végétation, il permet d’identifier l’empreinte laissée sur le sol par les bâtiments aujourd’hui disparus. Autour des temples, des vestiges de la ville disparue, temples, constructions en bois mais également des bassins, des digues, des structures hydrauliques, apparaissent grâce au lidar. Le laser a également révélé une ancienne agglomération aussi dense qu’étendue. A son apogée au XIIème siècle, Angkor s’étendait sur plus de 1 000 km2. La ville s’organisait autour de trois immenses réservoirs d’eau appelés les ‘barays’.

Superbe vidéo d’Angkor vue du ciel produite à l’aide d’un drone par le réalisateur Guillaume Le Berre.

Comment vivaient les habitants d’Angkor?

Le Bayon construit par Jayavarma VII au début du XIIIème est un temple d’exception. La beauté de cette immense structure, de ses mystérieuses tours à quatre visages mais aussi de ses bas-reliefs raffinés font du Bayon un édifice unique. Il est par ailleurs le seul temple dont les bas-reliefs dépeignent des scènes de la vie quotidienne (les bas-reliefs représentent en général des récits religieux ou historiques) comme la pêche, la chasse, la cuisine, les échanges commerciaux sur les marchés, la danse ou la musique. Cliquer ici pour en savoir plus sur le Bayon.

Si le bas-relief ci-dessous représente essentiellement une bataille navale opposant les Chams et les Khmers qui ressortirent victorieux de l’affrontement, on peut aussi voir au second plan des scènes se déroulant au milieu des habitations : une femme accouchant à l’aide de sages-femmes, des parents s’occupant de leurs enfants, des hommes transportant des paniers, des animaux domestiques, etc.

Bas relief "La bataille navale" - Le Bayon à Angkor Thom - Guerre des Khmers contre les Chams
Bas relief « La bataille navale » – Le Bayon à Angkor Thom – Guerre des Khmers contre les Chams
Bas-relief extérieur du Bayon - Angkor Thom. Une femme semble être en train d'accoucher aidée de sage-femmes
Bas-relief extérieur du Bayon – Angkor Thom. Une femme semble être en train d’accoucher aidée de sages-femmes. La femme sur la gauche semble éplorée. L’issue de cet accouchement fut-elle fatale?
Asparas du temple d'Angkor Vat
Asparas du temple d’Angkor Vat

Ces bas-reliefs nous indiquent aussi comment les Khmers étaient vêtus. Femmes et hommes portaient une pièce unique de vêtement rectangulaire. 

Un autre précieux témoignage nous permet d’en savoir plus sur les Khmers vivant à Angkor. L’émissaire chinois Zhou Dagan fut envoyé à Angkor par la dynastie Yuan pour recevoir les homages du nouveau roi Indravarma III. Il visita ainsi Angkor en 1296 et rédigea un rapport de son séjour où il décrit notamment la vie des Khmers. Selon lui, hommes et femmes portaient des bijoux. Cependant, la quantité portée dépendait du statut des individus. Les plus richement parées de bijoux étaient les Asparas, ces magnifiques danseuses représentées par millier sur les temples d’Angkor. Sculptées le long des façades des temples, on peut voir ces superbes Asparas à la poitrine généreuse découverte, parées de coiffes élaborées et de bijoux.

Zhou Daghan parle également d’une importante population de Chinois ayant immigrés dans la prospère Angkor. Certains bas-reliefs à Angkor montrant des hommes à barbe et chignons seraient des représentations de Chinois.

La maîtrise de l’eau

Entre mousson et saison sèche

La mousson et les cycles lunaires dominaient la vie à Angkor. L’alternance de la saison sèche et de la saison des pluies dictait le rythme de vie des habitants. Les récoltes de riz et la pêche étaient les deux principales sources alimentaires du royaume. Pour maintenir cet équilibre des saisons, les esprits étaient invoqués à l’aide de rites et de festivals.

L’année commençait ainsi en avril avec le Festival de la nouvelle année. Danses, parades, courses de bateaux étaient organisés tandis que de la nourriture était offerte aux esprits, aux dieux et par la suite à Bouddha lorsque le Bouddhisme arriva à Angkor. Zhou Dagan donne une description de ces célébrations: « en face du palais royal, une immense plateforme était érigée. Elle pouvait contenir plus de 1000 personnes et elle était décorée avec des lanternes et des fleurs. A l’opposé, était érigé un échafaudage de 35 mètres de hauteur, ressemblant aux échafaudages utilisés pour la construction des stupas (temples). Chaque nuit, trois à six de ces sculptures étaient érigées. Des roquettes et des pétards étaient placées au sommet de ces structures, le tout au frais des provinces et des nobles qui devaient contribuer au financement. A la nuit tombée, le roi prenait part au spectacle ».

La fin de la saison des pluies était aussi célébrée avec un rituel visant à remercier les esprits de l’eau. Un tribut était ainsi offert au roi serpent Naga, dieu des eaux.

Un ingénieux système hydraulique

La prospérité et le développement d’Angkor n’auraient surement pas été possible sans l’ingéniosité des khmers qui surent largement tirer profit des eaux du lac Tonle Sap. Zhou Daguan raconte que les récoltes de riz se faisaient trois à quatre fois par an. Il fallait en effet nourrir une population de plus en plus nombreuse, soit un véritable défi pour une région arrosée par la pluie seulement la moitié de l’année. Les Khmers mirent au point un système d’irrigation complexe ; des canaux étaient alimentés par les barays, ces immenses réservoirs d’eau. Une importante main d’oeuvre était nécessaire à l’entretien de ce réseau hydraulique.

Commerce, justice et classes sociales

Tour à visages du Bayon - Angkor Thom
Tour à visages du Bayon – Angkor Thom

Les échanges commerciaux étaient essentiellement conduits par les femmes. Elles bénéficiaient d’ailleurs d’un statut égal aux hommes. Selon les inscriptions retrouvées, les échanges commerciaux reposaient sur du troc. Les impôts étaient aussi payés sous forme de troc, ils pouvaient ainsi être collectés sous forme de céréales.

Diverses cours de justice existaient et les inscriptions suggèrent que des peines physiques comme le fouet étaient infligées aux coupables. Le territoire controlé par les Khmers était divisé en plusieurs zones, chacune étant administrée par une équipe d’officiers nommée par le roi. Mais de temps en temps, il arrivait qu’une de ces localités accroisse son pouvoir au point de constituer une menace pour le pouvoir central.

La société était divisée en plusieurs catégories sociales dominées par le roi. D’après Zhou Daguan, le roi accordait des audiences deux fois par jour aux fonctionnaires et aux habitants. Les prêtres, proches de la noblesse, bénéficiaient d’un haut statut social. Ils occupaient plusieurs fonctions comme érudits, poètes ou astrologues. Les guerriers et les agriculteurs formaient la plus grande classe. Quant aux esclaves, ils constituaient la classe la plus basse de la société.

La ville d’Angkor s’est ansi développée autour d’une société très hiérarchisée, puisant ses ressources alimentaires dans un ingénieux systèmes d’irrigation. Ce système avait pourtant ses limites et pourrait même à l’origine du déclin d’Angkor. Je vous invite à en savoir plus en cliquant ici.

Vous pouvez également lire:

Pour en savoir plus je vous conseille de lire:

« Comment vivait-on au temps d’Angkor ?« , Courrier International, 4 juillet 2015

‘Angkor – Cambodia’s wondrous khmer temples’ – Dawn F. Rooney – Sixth edition, 2011

« Le guide des temples d’Angkor » 2ème édition – Michel Petrotchenko – 2015

« Angkor Cité Khmère » – Claude Jacques et Michael Freeman, 2012

La cité d’Angkor vue par un drone !, Richard Stone, nationalgeographique.fr, 30 avril 2015