Jamais je n’ai visité de site archéologique aussi vaste qu’Angkor. Il faut dire que visiter Angkor revient à explorer une partie des vestiges d’une immense ville qui comptait près de 750 000 habitants au XIIème siècle. De cette ville, il ne reste que des centaines de temples en pierre. Du plus modeste au plus grand temple d’Angkor, Angkor Vat, tous ces temples sont un émouvant témoignage d’une cité autrefois puissante et qui développa un art d’une exceptionnelle beauté. Ces admirables temples sont aussi complexes qu’envoûtants. Aucun ne se ressemble vraiment bien qu’il existe des styles d’architecture bien particuliers selon les rois et les périodes. Ces constructions, pour la plupart imposantes, soulèvent de nombreuses questions ; à quoi servaient-elles? Quelle est leur signification? Pourquoi sont-elles si nombreuses? Comment furent-elles construites?
Pourquoi y-a-t-il autant de temples à Angkor?
La ville d’Angkor s’étendait sur plus de 1 000 km2 à son apogée. Une nouvelle technologie laser utilisée par les archéologues, le lidar, a dévoilé les vestiges inobservables à l’oeil nu d’une très vaste ville. Le lidar a ainsi mis au jour les fondations de temples inconnus, des bases de constructions en bois, des bassins, des structures hydrauliques, etc. Comment expliquer l’immensité de cette ville?
Chaque règne est un recommencement
Pendant près de sept siècles, les rois se sont succédés à la tête de l’empire khmer, régnant depuis Angkor. Or, à Angkor chaque règne est un recommencement. Chaque nouveau roi s’employait ainsi à construire un ou plusieurs temples, repoussant toujours plus loin les limites de la ville. Palais royal et habitations en bois venaient alors former une petite ville autour de ces temples.
La construction de ces temples gigantesques était loin d’être aisée. Il fallait acheminer les pierres de grès depuis une carrière située à une vingtaine de kilomètres, puis ériger ces sanctuaires à l’architecture complexe. Pourquoi se donner autant de mal à construire de nouveaux temples à chaque règne?
D’une part, la construction des temples permettait au monarque d’assoir son pouvoir et son autorité. D’autre part, il y existerait une raison d’ordre spirituel et funéraire. Selon Pierre Baptiste, conservateur au musée Guimet, il est possible que chaque temple ait acquis une dimension funéraire qui était propre à chaque souverain. Les temples ne seraient pas uniquement liés à l’affirmation de la puissance royale mais aussi à la mort des rois. Après leur mort, les souverains étaient inhumés ou leur sang était placé dans le sanctuaire. Le temple prenait alors une fonction funéraire, ce qui expliquerait que le successeur devait se construire son propre temple pour protéger le royaume de son vivant et pour préparer son avenir dans l’au-delà.
Des temples occupant différentes fonctions
Au-delà de la dimension religieuse et funéraire, il semblerait que certains temples furent également érigés par des souverains pour honorer la mémoire de leurs parents. Ce fut par exemple le cas du Mebon oriental. Construit au Xème siècle, ce temple hindouiste aurait été construit par le roi Rajendravarma II en la mémoire de ses parents. A la fin du XIIème siècle, le roi Jayavarma VII fit construire Ta Prohm, un temple dédié à la mémoire de sa mère tandis qu’un autre temple, Preah Khan, honore le père de Jayavarma VII. Mais Preah Khan était plus qu’un simple temple, ce magnifique complexe était aussi une université bouddhiste.
Parmi ces rois bâtisseurs, deux grands monarques ont particulièrement marqué l’histoire d’Angkor. Je vous propose de partir à la rencontre de Suryavarma II, fondateur du célèbre temple d’Angkor Wat (cliquez ici) et de Jayavarma VII, le roi architecte (cliquez ici).
L’architecture khmer
Le raffinement, la majesté et la puissance qui émanent de ces bâtiments de pierre rendent les temples khmers absolument fascinants. Qu’il s’agisse des extraordinaires et gigantesques temples Angkor Vat et Angkor Thom ou bien de temples plus petits comme Banteay Kdei ou Ta Prohm, toutes ces merveilles d’architecture sont à couper le souffle. Leur complexité requérait une véritable ingéniosité architecturale et leur structure revêtait tout un symbolisme religieux.
Evolution des matériaux de construction
Les premiers temples d’Angkor furent construits en briques, un matériau simple à utiliser (voir photo ci-dessous du temple de Prasat Kravan construit au début du Xème siècle). Puis à partir de la fin du Xème, les architectes commencèrent à utiliser le grès, une pierre plus lourde à transporter et nécessitant plus de main d’oeuvre. Le temple Ta Keo fut l’un des premiers grands temples construits en pierre (cliquez ici pour en savoir plus sur Ta Keo). Une autre pierre, la latérite, était utilisée pour les fondations des temples ou autres éléments massifs.
Les temples khmers, une représentation du Mont Méru
La plupart des temples d’Angkor sont des ‘temples-montagne’, une structure qui commença à apparaitre vers le IXème siècle. Leur forme pyramidale qui s’élève majestueusement n’est pas due au hazard. Cette structure est profondément liée à l’hindouisme, religion qui domina Angkor pendant plusieurs siècles.
Ces temples-montagnes représentent le Mont Meru, la demeure des dieux hindouistes. Les cinq sanctuaires symbolisaient ainsi les cinq pics du mont Meru. Les enceintes entourant les temples représentaient la chaîne de montagne encerclant le mont Meru tandis que les douves disposées autour des temples représentaient l’ocean cosmique séparant le monde des dieux de celui des hommes. Angkor Wat, est le temple-montagne par excellence. Ses cinq tours sont les plus élevées de tout le site archéologique d’Angkor. Ce gigantesque temple et ses douves recouvrent une surface de 1,3 km par 1,5 km (en savoir plus sur Angkor en cliquant ici).
Entre le VIIème et XIIème siècle, la base des temples était de forme carrée, ce qui n’était pas non plus du au hasard. Pour les Hindous, la surface de la terre est représentée par un carré, le Mandala. Cette structure géométrique jouait un rôle clé dans la construction des temples hindouistes.
Les premiers temples d’Angkor (Roluos, Phnom Kule, Koh Ker…) étaient dotés d’un unique sanctuaire. Puis les temples évoluèrent en une structure plus complexe comportant plusieurs sanctuaires. Le Mébon Oriental et Pre Rup (construits au Xème siècle) possédaient ainsi cinq sanctuaires ; un situé au centre et les quatre autres positionnés autour de ce sanctuaire central. Ce modèle sera plus tard réutilisé à Angkor Wat.
Temples bouddhistes sous Jayavarma VII
Sous le règne du roi bouddhiste Jayavarma VII (fin XIIème siècle – début du XIIIème siècle), les temples deviennent des ‘temples à plat’. Ces édifices, bouddhistes et non hindouistes, sont construits au niveau du sol (à l’exception du Bayon) où se multiplient les sanctuaires. Le temple Preah Khan est par exemple entouré de 8 sanctuaires.
Le style architectural sous le règne du Jayavarma VII est tout à fait unique. Il est aussi caractérisé par la présence de tours à quatre visages. Les temples construits par ce grand roi bâtisseur ainsi que les imposantes portes de l’enceinte d’Angkor Thom sont en effet surmontées de mystérieuses tours à visages. Il émane de ces visages un sentiment de puissance mais aussi de bienveillance. Un sourire à la fois paisible et énigmatique se dessine sur leurs lèvres charnues et sensuelles.
Sur le Bayon, principal temple d’Angkor Thom, chaque visage est orienté vers un point cardinal. Les historiens se sont longtemps penchés sur la signification de ces tours à visages mais ces tours demeurent un mystère encore aujourd’hui. Plusieurs théories ont été émises. Les quatre visages pourraient ainsi être une représentation de Lokeshvara, un Bodhisattna particulièrement vénéré sous le règne de Jayavarma VII (en savoir plus en cliquant ici). Pour d’autres, ces visages représenteraient le roi Jayavarma VII lui-même tandis que les quatre points cardinaux pourraient symboliser le contrôle d’Angkor sur son vaste empire.
Si les temples bouddhistes de Jayavarma VII preésentent un style architectural tout à fait différent des temples hindouistes, on retrouve néanmoins des éléments récurrents de l’art khmer.
Linteaux aux sculptures végétales, bas-reliefs et sublimes devatas sont présents sur la plupart des temples. Bien que bouddhiste, le Bayon offre ainsi de superbes représentations de ces nymphes célestes issues de la mythologie hindou (également appelées Apsaras). Tantôt parées de bijoux, de coiffures élaborées et de superbes costumes, elles sont des divinités féminines qui charment les dieux par leur danse et leur chanson. Elles naquirent du barattage de la mer de lait (en savoir plus en cliquant ici). Délicatement ciselées dans la pierre du Bayon, les devatas incarnent tout le raffinement et la beauté de l’art khmer. Les asparas du Bayon se distinguent néanmoins des asparas d’Angkor Vat par la présence de fleurs de lotus sous leurs pieds.
Les couleurs d’Angkor
Si Angkor ne présente plus que des temples aux couleurs grises ou orangées pour les temples faits de latérite (pierre faîte à base d’argile), il faut pourtant les imaginer recouverts de couleurs. Le rouge qui était une une couleur dominante à Angkor peut encore s’apercevoir sur certains temples. En revanche, le bleu, le blanc et le doré n’ont pas aussi bien résisté aux assauts du temps.
A partir du XIVème siècle, le bouddhiste therevada devient dominant à Angkor. Ceci a une conséquence sur le style architectural puisque les temples sont désormais construits en bois. Faits d’un matériau périssable, ces temples en bois ont malheureusement disparu.
Pour en savoir plus je vous conseille de lire:
‘Angkor – Cambodia’s wondrous khmer temples’ – Dawn F. Rooney – Sixth edition, 2011
‘Angkor before and after, a cultural history of the Khmers’ – David Snellgrove – Orchid Press, 2004
« Le guide des temples d’Angkor » 2ème édition – Michel Petrotchenko – 2015
« Angkor Cité Khmère » – Claude Jacques et Michael Freeman, 2012
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