Palais de Cnossos en Crète

La Crète, Santorin et la légende de l’Atlantide

La Crète et son ancienne civilisation, les Minoens, n’en finissent pas d’alimenter les mythes, y compris celui de la légendaire Atlantide. En raison de l’ingéniosité dont surent faire preuve les habitants des îles de Crète et de sa voisine Santorin à l’âge du bronze, plus d’un millénaire avant les Grecs et les Romains, le mythe de l’Atlantide pourrait selon certains chercheurs trouver son origine dans cette région de la Grèce. Une hypothèse par ailleurs renforcée par la terrible explosion volcanique qui frappa l’île de Santorin il a 3600 ans. Ce cataclysme détruisit toute vie sur l’île tandis que les Minoens en Crète durent affronter de gigantesques tsunamis. Il faut dire que ce peuple a de quoi fasciner. Ingénieuse, raffinée, puissance commerciale qui semblait dominer la Méditerranée, la civilisation minoenne devait surement impressionner ses contemporains. Mais que nous dit exactement le fameux mythe de Platon? Pour quelles raisons les Minoens auraient pu inspirer le mythe de la civilisation atlante?

Le récit de l’Atlantide de Platon

Le récit de l’Atlantide naît à Athènes sous la plume du philosophe grec Platon au Vème siècle avant J.C. Il prit vie dans deux dialogues écrits par Platon, Timée et Critias vers 358-356 avant J.C. Critias était un riche Athénien disciple de Socrate et parent de Platon. L’arrière grand-père de Critias se serait vu confier par le législateur grec Solon (VIe siècle avant notre ère) un récit qui lui aurait été conté par un prêtre égyptien. En effet, des inscriptions gravées sur les parois d’un temple en 1450 avant notre ère évoqueraient une puissante civilisation à présent éteinte. Ce peuple aurait autrefois vécu sur une île « plus grande que la Libye et l’Asie réunies » au-delà du détroit de Gibraltar, soit au-delà des colonnes d’Hercule. Elle aurait été dotée d’un grand et merveilleux empire il y a environ 9000 ans. Cette île se nommerait l’Atlantide.

Dans ce récit, Platon décrit une société remarquable où les Atlantes constituent un peuple très évolué et de formidables bâtisseurs. Egalement très riche, cet empire aurait été dirigé par le roi Atlas, fils du dieu Poséidon. Fort de leur puissance, les Atlantes se seraient lancés à la conquête de la Méditerranée et une guerre éclata avec Athènes. Platon présente ainsi une civilisation avancée qui aurait fini par attiser la jalousie des dieux. En punition, elle finit engloutie par la mer suite à un tremblement de terre et un raz-de-marée, en l’espace d’un jour et d’une nuit. Le mythe viendrait donc d’Egypte avant d’être exporté à Athènes. L’histoire aurait ensuite été transmise oralement au cours de veillées jusqu’à ce que Platon livre par écrit sa propre version.

Les Minoens pourraient-ils être liés à la fameuse Atlantide ?

Les Minoens pourrait-ils être les fameux Atlantes décrits par Platon ? C’est ce que pensait notamment le commandant Cousteau qui identifia la Crète comme une potentielle Atlantide. Ce peuple aurait-il pu inspirer la naissance du fameux mythe ? Les Minoens présentent en effet plusieurs points communs avec la civilisation dépeinte par Platon, à commencer par leur ingéniosité et leur raffinement. Les vestiges mis au jour par les archéologues sur les îles de Crète ont en effet montré l’avancement des Crétois. Les fouilles des palais crétois, notamment le palais de Cnossos situé dans le Nord de la Crète (en savoir plus sur le palais de Cnossos en cliquant ici), ont mis en évidence une société opulente, capable de stocker de larges ressources alimentaires et qui maîtrisait aussi bien les arts que l’architecture (cf. article sur la civilisation minoenne).

Les Minoens, une civilisation ingénieuse

La découverte du palais de Cnossos par Arthur Evans au début du XXème siècle a ouvert un nouveau chapitre de la quête de l’Atlantide. Les vestiges de Cnossos ont révélé une construction monumentale. Puis suivirent la découverte d’autres palais comme ceux de Phaistos ou de Malia. Pourtant, lorsque l’archéologue Arthur Evans découvrit ces vestiges, il les attribua au légendaire roi Minos et non à l’Atlantide. Par conséquent, il nomma la civilisation redécouverte les Minoens. Au fur et à mesure des fouilles, le palais de Cnossos révéla une maîtrise architecturale inégalée pendant des siècles et une civilisation raffinée comme le montrent les superbes fresques colorées mises au jour (cf. article sur la Crète et les Minoens).

Composé de 1300 pièces sur 4 étages et reliées par de grands couloirs, le palais de Cnossos était doté d’une cour centrale possédant un grand puits de lumière qui permettait de répartir la lumière dans les autres pièces. D’autres puits de lumière venaient éclairer les autres parties du palais. Les murs étaient aussi percés d’ouvertures contrôlables grâce à des panneaux en bois, permettant de protéger les pièces contre un vent froid ou au contraire de les rafraîchir en orientant une brise fraîche. Le palais était par ailleurs doté d’un ingénieux système de canalisation pour le tout à l’égout et la distribution d’eau, mille ans avant les Grecs et les Romains. Or un système élaboré de canalisation est évoqué dans le récit de Platon. Le philosophe faisait également allusion aux murs d’un palais qui scintillaient de milles feux. Les murs des palais minoens étaient composés de gypse, une pierre très brillante qui devait étinceler au soleil.

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Palais de Cnossos en Crète

L’ingéniosité des Minoens s’exprimait également dans leur capacité à concevoir des bâtiments qui pouvaient, dans la mesure du possible, résister aux tremblements de terre. La Crète reposant sur une zone fortement sismique, leurs habitants étaient habitués aux tremblements de terre et étaient parvenus à concevoir des murs plus résistants, consolidés par un système d’armature en bois rendant la structure plus flexible.

Par ailleurs, Platon évoquait dans son récit une société évoluée et vivant en harmonie avec la nature. Or l’art minoen laisse transparaître une certaine symbiose avec la nature environnante. Une faune et une flore abondante se retrouvent en effet dans leurs fresques colorées mais également sur les poteries retrouvées lors des fouilles archéologiques (cf. article sur la Crète et les Minoens). Enfin, un sport avec des taureaux est aussi évoqué dans le dialogue de Platon. Comme les fresques mises au jour le suggèrent, la tauromachie, une discipline de voltige avec des taureaux, était au coeur de la culture crétoise. Il aurait pu s’agir d’un rite d’initiation des jeunes Minoens.

Une autre civilisation avancée sur l’île de Santorin

Les traces d’une autre société avancée ont également été découvertes à 140 kilomètres de la Crète, sur l’île voisine de Santorin, autrefois appelée Théra. L’île volcanique de Santorin est aujourd’hui connue pour ses magnifiques maisons au blanc éclatant coiffées de toits bleus foncés en forme de dôme. Santorin est cependant moins célèbre pour ses vestiges antiques. Dans les année 60, l’archéologue Marinatos mis au jour les vestiges d’une extraordinaire cité de l’âge du bronze, Akrotiri. Cette ville enterrée sous plus de 10 mètres de pierres ponces et de cendres volcaniques, présentent toutes les caractéristiques d’une civilisation avancée.

Etudier ces vestiges ne fut cependant pas une mince affaire pour les archéologues. La ville, dont seulement une infime partie a été excavée (3%), fut victime de tremblements de terre avant d’être engloutie par une éruption volcanique d’une extrême violence. Malgré tout, Marinatos et d’autres équipes d’archéologues, parvinrent à mettre à jour des immeubles composés de trois à quatre étages, chose exceptionnelle pour une civilisation de l’âge du bronze vivant dans une zone sismique. Les vestiges d’Akrotiri ont révélé une architecture très sophistiquée avec ces bâtiments de plusieurs étages, des rues pavées et un ingénieux système de canalisation. Les fresques retrouvées évoquent une civilisation riche et prospère. En savoir plus sur Akrotiri en cliquant ici.

Les habitants d’Akrotiri auraient en effet développé leur fortune autour de la métallurgie. Leurs terres étant en revanche peu propices à l’agriculture, ils échangeaient leurs métaux contre les céréales de Crète. Quant aux Minoens de Crète, en plus d’être des agriculteurs, ils étaient aussi de très bons navigateurs maîtrisant la mer Méditerranée devenue une véritable source de revenus. Ils avaient développé d’importantes relations commerciales avec les puissances voisines, notamment l’Egypte (cf. article sur les Crète et les Minoens). La culture du Safran aurait également pu contribuer à leur richesse.

La Crète et Santorin étaient ainsi un véritable carrefour commercial entre différents continents. Or Platon parle dans son récit d’un peuple de marins. Enfin, un autre point commun entre les habitants de ces îles et les Atlantes décrits par Platon se trouve dans la destruction même des deux civilisations.

Peinture murale d'Akrotiri - Santorin - Grèce
Peinture murale d’Akrotiri – Santorin – Grèce. Musée préhistorique de Théra

La Crète et Santorin, victimes d’une terrible catastrophe naturelle

Vers 1620 avant J.C. (parfois datée vers 1450 avant J.C.) une gigantesque éruption volcanique sur l’île de Théra (l’actuelle Santorin) provoqua une des plus grandes catastrophes du monde antique. Elle engloutit une partie de l’île sous des tonnes de magma, de cendres et de pierres ponces. L’éruption fut suivie d’un autre fléau qui toucha la Crète avec violence, un tsunami. Une vague de 18 mètres de haut aurait ainsi pu pénétrer jusqu’à 8 kilomètres dans les terres, dévastant tout sur son passage. Une catastrophe dont les Minoens auraient pu avoir du mal à se relever. Il est également concevable que les survivants aient été plongés dans une crise profonde, remettant en question jusqu’aux fondements mêmes de leur société et la légitimité des détenteurs de pouvoir religieux. Les Minoens se seraient alors retrouvés dans une situation très vulnérable et n’auraient sans doute pas pu repousser les invasions des Grecs qui étendirent leur domination sur la Méditerranée.

Pourtant, malgré les nombreux points communs entre les anciens habitants des îles de Crète et de Santorin et l’Atlantide décrite par Platon, un détail majeur ne concorde pas, la date. Platon parle en effet dans son récit d’une civilisation disparue il y a près de 9000 ans. Or la catastrophe volcanique qui frappa les Minoens eut lieu environ 1000 ans avant la rédaction du Critias et du Timée. Ainsi, pour envisager que les Minoens soient les fameux Atlantes ou qu’ils les aient du moins inspiré, il faudrait donc admettre que la date donnée par Platon soit fausse. Mais au-delà de ce soucis de date, on peut par ailleurs se poser la question du bien-fondé même du récit de l’Atlantide.

Plages de sable noir de l'île de Santorin issu de roche volcanique
Plages de sable noir de l’île de Santorin issu de roche volcanique

L’Atlantide, un mythe inventé de toutes pièces?

S’il parait indéniable que les Minoens appartenaient à une civilisation brillante, l’existence même de l’Atlantide est en revanche beaucoup plus contestable. Le récit de Platon pourrait-il être vrai ou s’agit-il simplement d’une invention?

Le mythe de l’Atlantide passionne toujours autant

Le mythe prit une véritable ampleur au XIXème siècle où aventure et archéologie tendaient à se confondre. Il inspira fortement les passionnés de mystère et la littérature (Jules Vernes s’en inspira par exemple pour son célèbre « Vingt mille lieues sous les mers« ). On se mit à chercher en vain l’Atlantide en Amérique Latine, dans les Caraïbes, dans les Îles Canaries, dans le Sahara et même en Antarctique. Pour certains théoriciens, Atlantide aurait même pu jeter les bases de la civilisation maya. Selon cette théorie, les survivants de la catastrophe responsable de la destruction de l’Atlantide se seraient enfuis en Amérique Latine, donnant naissance à une nouvelle civilisation, les Mayas. Le mythe exerce encore de nos jours une véritable fascination. Il fait toujours l’objet de nombreuses recherches menées par les archéologues et les océanographes.

Tenerife, une des îles Canaries
Tenerife – Une des îles Canaries, potentielles Atlantide

Ainsi, il y a quelques années, le géologue Jacques Collina-Girard pensa identifier l’Atlantide à l’ouest du détroit de Gibraltar où il localisa l’existence d’un ancien archipel qui aurait disparu il y a 12 000 ans et qui se situe près des Colonnes d’Hercule. Récemment, d’autres candidats à l’Atlantide ont été identifiés, parmi lesquels l’île de Malte et la Sardaigne où des constructions préhistoriques ont été retrouvées dans le Sud de l’île italienne. De plus, une étrange figure identifiée sur Google Earth a dernièrement ouvert la porte à de nouvelles spéculations. Située à 700 kilomètres des îles Canaries, cette formation rectangulaire présente des lignes droites et perpendiculaires et s’étale sur 170 kilomètres de long et 130 kilomètres de large. L’idée est séduisante mais il semblerait qu’une fois de plus l’imaginaire et la passion prévalent. Google a en effet coupé court à la rumeur, affirmant qu’il s’agit de marques laissées par des navires ayant sondé la zone pour en relever les données.       

Forme rectangulaire sur Google Earth
Forme rectangulaire sur Google Earth

L’Atlantide : de l’allégorie au mythe?

La recherche de l’Atlantide n’en finit donc pas de passionner, une quête qui semble sans fin. Se pourrait-il que le récit ne soit finalement qu’une fable ? Une allégorie aux allures d’histoire vraie qui viserait à donner une leçon de morale aux Athéniens en dénonçant les travers d’une société vénale aux velléités impérialistes. Au Vème siècle avant notre ère, Athènes entre en effet en guerre à plusieurs reprises contre Sparte et les cités-Etats alliées. C’est la guerre du Péloponnèse. Entre 431 à 404 avant J.C., chaque cité-Etat se trouva entrainée dans cette guerre par les jeux d’alliance. Selon l’historien de l’époque Thucydide, cette guerre trouverait ses fondements dans la crainte de Sparte devant l’expansion impérialiste d’Athènes qui menaçait l’équilibre des pouvoirs de la Grèce continentale. La guerre du Péloponnèse conduisit à la capitulation d’Athènes en 404, révélant les limites de son pouvoir impérialiste. Or n’oublions pas que Platon était après tout un philosophe et non un historien. C’est la théorie défendue par des chercheurs comme l’historien Pierre Vidal-Naquet pour qui l’Atlantide incarne une cité coupable de nombreux maux qui aurait fini par causer sa propre perte, après avoir atteint son apogée. Corrompus par la richesse et le pouvoir, Atlantide et ses habitants auraient été punis par les flots d’eau qui les anéantirent. L’Atlantide ne serait donc qu’une mise en garde à l’attention des Athéniens.

Si l’on conçoit le récit de Platon comme une invention, une leçon de morale et non un récit, les similitudes entre les Atlantes et les civilisations minoennes et akrotiriennes laissent penser que le philosophe aurait pu s’inspirer de l’histoire de ces peuples disparus. L’éruption volcanique sur l’île de Théra fut selon les scientifiques d’une telle ampleur qu’elle a pu fortement marquer les esprits et les mémoires de générations en générations et ainsi donner naissance à un mythe comme l’Atlantide. Leur culture raffinée, leur maîtrise de la navigation, de l’architecture, des arts, de la tauromachie a pu inspirer les récits. Quoi qu’il en soit, que les Minoens aient été ou non des Atlantes, une chose est certaine, ce peuple appartenait à une civilisation ingénieuse et florissante qui su dominer pendant un temps la mer Méditerranée.

Pour en savoir plus je vous conseille :

 » Grèce, Voyages dans l’histoire », National Geographic, Tim Boatswain et Colin Nicolson, éditions 2012

« Et Platon inventa l’Atlantide », Maurice Sartre, L’Histoire n°389, juillet-août 2013

« A-t-on localisé la légendaire Atlantide? », Aurèle Baugandon, Questions d’Histoire n°17, novembre-décembre 2014

« L’Atlantide a réellement existé », Olivier Tosseri, Historia n°771, 01/03/2011

« Google dément la découverte de l’Atlantide dans Earth« , Génération-nt.com, 23/02/2009

« L’Atlantide rejaillit », Frédéric de Monicault, Historia n°660, 01/12/2001

Documentaire « Les civilisations disparues, le mythe de l’Atlantis »