Santorin, une sublime ile grecque parsemée de maisons et églises blanches aux dômes bleus. Sur les hauteurs, les célèbres villages de Fira et Oia offrent une vue imprenable sur la caldera et une mer d’un bleu azur. Sur les flancs de l’île, les strates de roches nous rappellent la violence du passé volcanique de Santorin qui mit fin à une extraordinaire civilisation il y a 3600 ans. Car sous ces couches volcaniques, se trouvent les vestiges d’Akrotiri. Cette incroyable ville de l’âge du bronze fut ensevelie sous des tonnes de roches volcaniques lors d’une terrible éruption vers 1615 avant J.C. Elle resta prisonnière de son écrin de pierre jusqu’en 1950 où elle fut mise au jour par l’archéologue grec Marinatos. Ce que les vestiges révélèrent était inespéré. C’est une civilisation ingénieuse et raffinée qui allait revoir le jour et que je vous propose de découvrir.
La découverte d’Akrotiri
Tout commence en 1866. Ferdinand de Lesspes supervise alors la construction du canal de Suez. L’ile volcanique de Santorin, autrefois appelée Théra, était exploitée par Lesseps pour son mortier particulièrement résistant. Alors que l’on creuse le sol de Théra, des vestiges d’un village de l’âge de Bronze sont mis au jour. Mais ces premières découvertes n’allèrent pas bien loin.
Au XXème siècle, l’archéologue Spyridon Marinatos émet l’hypothèse que la fin de la civilisation minoenne en Crète serait liée à une éruption volcanique sur l’île de Théra. Située à 140 kilomètres de Santorin, la Crète vit l’essor d’une ingénieuse civilisation de l’âge du bronze il y a plus de 3500 ans. Ce peuple développa une exceptionnelle maitrise des arts, de l’architecture, de la navigation et de l’agriculture. Les Minoens eurent une influence considérable sur la civilisation d’Akrotiri et leur histoire allait être profondément liée à celle de Santorin et de ses habitants.
Marinatos dut attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale et de la guerre civile grecque (1946-1949) pour entamer des fouilles à Santorin et vérifier sa théorie. Il put enfin se rendre sur l’île au début des années 60. Il choisit de fouiller le site de Favatas, le site le plus susceptible, selon lui, d’avoir été habité. Marinatos choisit en effet un site qui était à la fois plat, donc apte à accueillir des activités agricoles, situé près de la mer, donc idéal pour la pêche et le commerce maritime, un site protégé des vents et enfin, un site en contact visuel avec l’île voisine de Crète. Son raisonnement allait s’avérer payant et ce que Marinatos découvrit dépassait de loin ce qu’il pouvait imaginer.
Sous près de 10 mètres de pierres ponce et de cendres volcaniques, reposaient les vestiges d’une ville victime d’une monstrueuse éruption il y a près de 3600 ans. Les roches volcaniques recouvraient non pas les vestiges de ce qui aurait pu être un modeste village de pêcheurs, mais une cité prospère et étonnamment moderne. Marinatos allait alors dédier son existence à l’excavation de la cité d’Akrotiri et à tenter de percer le mystère de la civilisation qu’il venait de réveiller.
Akrotiri, une ville étonnamment moderne
L’excavation des vestiges fut extrêmement complexe. Les tonnes de pierre ponce qui avaient envahit la ville étaient entrées dans les bâtiments. Mais cette pierre permit également de protéger la ville. La cité était organisée autour d’un réseau de rues pavées et de places. Chose exceptionnelle pour une ville de l’âge du bronze, et qui plus est dans une zone sismique, Akrotiri abritait des bâtiments de plusieurs niveaux. Ces immeubles en forme de cube, pouvant aller jusqu’à trois étages, impressionnent également par leur aspect moderne et résolument familier. Ils ressemblent en effet aux petits immeubles grecs modernes que l’on trouve sur les îles des Cyclades.
Ces immeubles répondaient à des normes bien précises. Il n’était pas question pour les habitants de construire comme bon leur semblaient. Ils devaient en effet respecter le système de drainage, de ventilation, de luminosité et d’accès qui s’appliquait à l’ensemble des bâtiments. La lumière jouait d’ailleurs un rôle très important. De nombreuses et larges fenêtres permettaient de jouir d’une abondante luminosité. Si cela peut aujourd’hui nous paraitre banal, la présence d’aussi grandes fenêtres est pourtant quelque chose d’extraordinaire pour une cité datant de l’âge du bronze et reposant sur une zone sismique.
Il semblerait que la lumière faisait partie intégrante du mode de vie à Théra et en Crète. La lumière, les couleurs et des ouvertures communicatives montraient une société où l’intérieur était en harmonie avec l’extérieur et le public. Les magnifiques peintures murales qui ont été retrouvées dans les habitations et bâtiments publics étaient d’ailleurs intentionnellement visibles depuis l’extérieur.
Le système sanitaire constitue un autre élément moderne et inattendu dans cette ville de l’âge du bronze. L’entrepôt de la maison ouest a en effet révélé un siège de toilette extrêmement bien préservé. Le siège était connecté à un tuyau vertical dans le mur, lui-même relié aux égouts de la ville. Un système de siphon permettait par ailleurs de limiter les mauvaises odeurs. Il faudra attendre plusieurs siècles et l’empire romain pour revoir un système qui réponde à de telles exigences hygiéniques.
Une autre surprise attendait les archéologues ; de nombreux escaliers qui témoignent de l’ingéniosité dont sut faire preuve ce peuple au IIème millénaire avant notre ère.
L’importance du bois dans l’architecture d’Akrotiri
Les murs, les étages et les escaliers de pierre étaient soutenus et renforcés par du bois, un matériau flexible qui résiste relativement bien aux fréquents tremblements de terre. Tout comme en Crète, le bois jouait un rôle majeur dans l’architecture. Il semblerait que les technologies, la mode et les connaissances arrivaient vite de Crète à Santorin.
Malheureusement, le bois s’est décomposé depuis bien longtemps. Néanmoins, les archéologues ont pu reconstituer cette armature en bois. Peinte pour un effet encore plus réaliste, on peut l’observer encadrant des fenêtres et supportant des façades de plusieurs étages.
Des colonnes apparentes en bois étaient également utilisées. Les immeubles devaient être de toute beauté. Malheureusement, seules les bases en pierre ont été conservées. Il est possible que les habitants d’Akrotiri aient acquis cette maitrise du bois grâce aux constructions navales, indispensables pour les échanges commerciaux et pour communiquer avec le voisin crétois.
Aujourd’hui, ce sont 12 000 mètres carrés qui ont été mis au jour, ce qui représenterait seulement 3% de la surface totale de la ville. 35 bâtiments ont été dégagés des roches volcaniques et sont aujourd’hui protégés par un toit. Parmi eux, se trouvaient des habitations et des entrepôts. Il semblerait que la partie excavée était celle des beaux quartiers. Les maisons étaient celles de citadins, il n’y a pas de cours où il y aurait pu avoir des animaux de basse-cours. Les maisons de deux à trois étages, étaient soignées et luxueuses comme en témoignent les magnifiques peintures murales retrouvées, ainsi que le mobilier.
Comment vivaient les habitants d’Akrotiri?
En 1615 avant J.C., la vie se figea pour les habitants d’Akrotiri. Les roches et cendres volcaniques recouvrèrent la ville, la préservant pendant près de quatre millénaires. La cité ainsi protégée put livrer de précieuses informations aux archéologues sur la vie à Akrotiri.
L’abondance de biens retrouvés, couvrant largement les besoins de la population, montrent que les habitants d’Akrotiri évoluaient au sein d’une société opulente et consumériste. Parmi ces objects, furent retrouvés de la vaisselle, des jarres, des paniers, des chaudrons, des lampes et des vases. Ils constituaient l’équipement de chaque habitation.
Les éléments principaux des immeubles restent bien sûr le mobilier. Des baignoires individuelles, des lits, des chaises et des tables finement sculptées ont été découvertes. Les archéologues durent pour cela faire preuve d’ingéniosité. Car le mobilier en bois s’est depuis bien longtemps décomposé. Néanmoins, le bois était cerné de cendres durcies et de pierre ponces lorsqu’il se décomposa. Le bois laissa ainsi un espace vide dans la roche. Les archéologues coulèrent du plâtre dans ce moule naturel ce qui permit d’extraire les négatifs d’un mobilier de luxe (cf. photos ci-dessous).
La nourriture et la mode à Akrotiri
Des résidus d’aliments permirent aux archéologues de se faire une idée du régime alimentaire des habitants d’Akrotiri. Les céréales constituaient ainsi la base de l’alimentation. Du blé, des lentilles, des pois ont été retrouvés stockés dans des pithois, ces énormes jarres communes aux Minoens de Crète et aux habitants de Théra. S’ajoutaient à cela des légumes, des figues, des animaux (chèvres et moutons), du poisson et de l’huile d’olives.
Les extraordinaires peintures murales donnent également un aperçu de ce à quoi pouvait ressembler la vie quotidienne. Des hommes pêchant, une flotte de bateaux, des femmes récoltant du safran (précieuse épice), des jeunes gens boxant, une nature abondante (dauphins, antilopes, fleurs de lys, crocus, etc…) sont ainsi représentés.
Ces peintures nous montrent aussi la mode de l’époque. De superbes boucles d’oreilles qui nous rappellent les créoles d’aujourd’hui, de magnifiques chemises révélant des poitrines généreuses, et ce qui ressemblent à des pantalons larges au couleurs ocres et bleues viennent habiller des femmes à la longue chevelure noire et bouclée. Comme le montrent les peintures, les femmes se maquillaient les yeux, les joues et la bouche. Les restes d’une pâte rose ayant pu servir au maquillage ont d’ailleurs été retrouvés.
En revanche, aucun bijoux ne fut retrouvés, les objets précieux ayant surement été emportés par les habitants lors des prémices de la catastrophe. L’éruption finale qui ensevelie la ville fut en effet précédée de tremblements de terre et de petites éruptions (cliquez ici pour en savoir plus sur l’éruption volcanique et la fin de la civilisation d’Akrotiri).
Akrotiri, une société matriarcale?
Les femmes étant majoritairement représentées sur les peintures mises au jour, une théorie avance que la société akrotirienne aurait pu être une société matriarcale. Cette théorie est également supportée par le fait que les quelques représentions d’hommes les montrent nus, bronzés et occupés à travailler. A l’opposée, les femmes sont richement vêtues et parées de bijoux. Elles ont le teint pâle, indiquant qu’elles ne travaillent pas à l’extérieur, et s’emploient à des activités de loisirs comme la cueillette de fleurs.
Néanmoins, seule une infime partie de la ville a été excavée. Il parait donc difficile de tirer de telles conclusions avec aussi peu d’éléments. Par ailleurs, le fait que les femmes ne travaillent pas n’est pas forcément un gage de domination.
Les questions sur le mode de vie sont d’autant plus difficiles à élucider que les habitants ont eu le temps de fuir la ville, emportant leurs possessions, avant que ne s’abattent sur la ville les tonnes de roches volcaniques (cliquez ici pour en savoir plus sur l’éruption).
L’art à Akrotiri
La couleur jouait un rôle clé sur l’île de Théra. Cette ile volcanique a généreusement doté sa surface de roches noires, rouges et ocres qui offrent un superbe contraste avec la mer bleue scintillante. Ces couleurs vives se retrouvent dans les peintures d’Akrotiri.
La peinture débuta sur vases avant d’évoluer vers des peintures murales. A Akrotiri tout comme en Crète, la nature et la vie marine occupaient une place de choix dans les représentations artistiques. Les peintures murales avaient pour but de décorer l’intérieur des maisons mais devaient aussi être visibles depuis l’extérieur des bâtiments.
Pour toute personne ayant visité la Crète, les peintures murales d’Akrotiri rappellent immanquablement celles des ingénieux Minoens. On y retrouve une nature luxuriante et très présente, des femmes aux longues chevelure noires richement vêtues et ornées de bijoux, des scènes d’initiation sportives (la boxe à Théra et la tauromachie en Crète – en savoir plus sur la civilisation crétoise en cliquant ici) ou bien encore des animaux imaginaires. Le griffon est ainsi une créature que l’on peut apercevoir sur les murs du palais de Cnossos en Crète mais également à Akrotiri. Notre ville de l’âge du bronze nous offre également une autre extraordinaire fresque, mettant en scène des singes bleus.
Il semblerait que la Crète ait eu une forte influence sur Théra puisque les techniques de construction et d’art sont directement inspirées des Minoens de Crète. Il est d’ailleurs possible que les artistes de Théra aient été des apprentis des peintres Minoens. Malheureusement, toutes ces peintures furent réduites en miettes lors du tremblement de terre qui précéda l’éruption volcanique, ce qui explique qu’elles ne soient que très partiellement reconstituées.
Une ville riche, en lien étroit avec les Minoens de Crète
Akrotiri était ainsi fortement connectée et influencée par ses voisins Crétois. La proximité mais aussi la dépendance commerciale peuvent expliquer de tels liens. Les habitants d’Akrotiri auraient en effet développé leur fortune autour de la métallurgie et la production de biens manufacturés. Leurs terres étaient en revanche peu propices à l’agriculture. Ils échangeaient donc leurs métaux contre les céréales de Crète.
Si les liens entre les Minoens et les Akrotiriens sont indéniables, il ne faudrait pas pour autant les mélanger. Les deux civilisations présentent en effet des dissimilitudes. La Crète abrite de gigantesques et ingénieux palais, or rien n’indique pour le moment que l’île de Santorin en possède. De même qu’en Crète, aucune ville du type d’Akrotiri n’a été retrouvée.
Malgré l’extraordinaire travail d’excavation, de nombreuses questions demeurent sans réponse. Comment était organisée la société? Quelles étaient leurs croyances? Qui étaient ces femmes richement vêtues représentées sur les peintures murales? Quel était leur statut social? Etaient-elles des divinités?
Quoi qu’il en soit, une chose est certaine, la ville d’Akrotiri était à l’apogée de son art et de sa richesse lorsque que le volcan de Santorin frappa Akrotiri de toute sa puissance destructrice.
Pour en savoir plus, je vous conseille:
»Akrotiri, Thera 17th century BC – A cosmopolitan harbour town 3,500 years ago », C.G Doumas, C.Palyvou, A.Devetzi, C. Boulotis, 2015. Society for the promotion of studies on prehistoric Thera.
»The Minoan Eruption of the Thera Volcano and the Aegean World », George E. Vougioukalakis. Society for the promotion of studies on prehistoric Thera.
»La Crète, une île carrefour », Nicola Cucuzza, Archéologia n°507, février 2013
Musée pré-historique de Théra à Fira, Santorini
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