Palais de Malia en Crète

La Crète, à la rencontre de la civilisation minoenne

Partons en direction de la Crète, cette île grecque empreinte de mythes et de légendes. Berceau du minotaure, refuge de Zeus, elle serait aussi pour certains la légendaire Atlantide. La Crète, une île aux nombreux vestiges archéologiques qui parsèment ses territoires arides et révèlent peu à peu les lointaines traces du passé des Minoens. Cette civilisation de l’âge du bronze peupla l’île il y a plus de 3500 ans. La Crète, une île qui fut successivement aux mains des Byzantins, des Vénitiens, des Turcs et des Grecs. Elle fut aussi un repère de pirates. Sa conquête par Rome fut d’ailleurs en partie motivée par sa lutte contre la piraterie en Méditerranée (69-67 avant J.C.). La Crète, une île où le célèbre héro des guerres puniques et ennemi de Rome, Hanibal, trouva refuge. J’ai eu la chance de parcourir les ruines des plus célèbres palais minoens dont l’incontournable site de Cnossos rendu célèbre par l’archéologue Arthur Evans. J’ai longé les plages de l’île voisine Santorin dont le sable noir rappelle ses origines volcaniques. Je me suis enfoncée dans la grotte où, selon la légende, Zeus aurait grandi caché, à l’abri des velléités meurtrières de son père. J’ai arpenté les rues d’Heraklion et de Rethymnon où les traces du passé vénitien de la Crète s’offrent aux voyageurs. Je vous propose donc de partir à la découverte de la Crète, de son mystérieux passé, de ses légendes et de sa fascinante civilisation antique, les Minoens. 

Histoire de la Crète : qui étaient les Minoens?

Qui était ce peuple crétois ? Cette antique civilisation de l’âge du bronze doit son nom de « minoen » à l’archéologue Arthur Evans (1851-1941) qui mit au jour le palais de Cnossos. Après avoir réalisé qu’il avait découvert les vestiges d’une civilisation inconnue jusqu’alors (et qu’il ne s’agissait pas des Mycéniens comme il avait pu le penser dans un premier temps), Arthur Evans nomma ce peuple « Minoen » en référence au légendaire roi Minos. Ce fils de Zeus, bâtisseur du labyrinthe abritant le fameux minotaure aurait en effet régné sur la Crète, selon la mythologie grecque (cf. article sur la Crète au coeur des mythes grecs). Les anciens Egyptiens faisaient quant à eux référence aux habitants de la Crète dans leurs écrits sous le nom de « Keftiou ».

Peu de choses nous sont parvenues sur les Minoens (d’autant que  l’écriture minoenne, le linéaire A, n’a pas encore été déchiffré à la différence du linéaire B plus récent) hormis les mythes qui nous ont été transmis, les témoignages grecs et égyptiens et bien sûr, les vestiges mis au jour par les archéologues. Les Minoens demeurent ainsi un peuple mystérieux bien que les découvertes archéologiques révèlent une civilisation qui semble avoir développé une maîtrise certaine des arts, de l’architecture et de la navigation. Céramiques, orfèvrerie, métallurgie, gravure sur pierre, peinture, autant de discipline dans lesquelles les Minoens excellaient.

Reproduction des fragments de la fresque "La procession" à Cnossos
Reproduction des fragments de la fresque « La procession » à Cnossos

On retrouve dans l’art des Minoens une faune et une flore abondante et luxuriante. Des dauphins, des pieuvres, des fleurs, des lys, des coquillages, des oiseaux mais aussi des créatures imaginaires comme le griffon apparaissent ainsi sur des cruches, des vases ou des bas-reliefs. Ces fresques murales de couleurs vives sont en relief, façonnées en plâtre. Elles semblent exprimer un rapport privilégié à la nature et un culte de la fertilité. Cette vénération se retrouve d’ailleurs dans la personnification de la nature en une figure religieuse, une femme, la Grande Mère (il faut néanmoins se montrer prudent concernant les pratiques religieuses des Minoens, les écrits ne permettant pas de confirmer cette interprétation). Les oeuvres d’art des Minoens nous révèlent aussi des scènes de boxe, de lutte, de tauromachie (sport consistant à sauter par dessus un taureau), de cérémonies religieuses conduites par des prêtres ou prêtresses et semblant se dérouler dans un climat de fête. Des animaux sacrés sont souvent représentés : le taureau, la vache, le chamois et les colombes. On voit également sur les vestiges mises au jour, d’élégants jeunes hommes et jeunes filles à la longue et foisonnante chevelure noire et bouclée.

L’absence d’éléments guerriers sur les fresques a pu amener certains chercheurs comme Arthur Evans à y voir une civilisation pacifique. Pourtant, les récentes découvertes de traces de sacrifices humains dans des sanctuaires donnent une autre dimension à cette civilisation dont l’on ne sait finalement que peu de choses (le déchiffrage partiel de son écriture ne facilite pas la compréhension de cette civilisation). Par ailleurs, si les Minoens exerçaient à l’époque une domination sur le reste de la mer Egée, cela pourrait expliquer l’absence observée de fortifications. Car il semblerait que les Minoens régnaient en maître sur la Méditerranée. Cette période nommée « thalassocratie », se caractérise par la domination des princes crétois sur la mer. Une période qui se serait développée à l’âge du bronze. Elle fut même mentionnée au Vème siècle avant notre ère par les historiens Hérodote et Thucydide.

Les fouilles archéologiques ont également permis d’en savoir plus sur la religion minoenne. Ainsi, il apparaît que contrairement aux cultes égyptiens ou mésopotamiens de l’époque, la religion minoenne se caractérisait par l’absence de temples. La plupart des lieux de cultes ont en effet été identifiés directement dans les palais et les maisons. A l’intérieur, les symboles sacrés comme la double hache ou les cornes de vache ornent les murs. Enfin, l’archéologie dévoile une civilisation ingénieuse qui a su accomplir de véritables prouesses architecturales.

Palais de Phaistos en Crète
Palais de Phaistos en Crète

Les différentes périodes palatiales et l’ingéniosité des Minoens

Une chronologie approximative permet de poser les repères de l’histoire des Minoens. Je ne donnerai ici que les grandes lignes (cf. les références ci-dessous pour en savoir plus). Il existe une période dite « prépalatiale » située entre 2600 à 2000 avant J.C. puis, une période dite des « premiers palais » (2000 à 1700 avant J.C.). Cette période s’achève avec la destruction de ces premiers palais qui seront ensuite reconstruits. On entre alors dans la période  »neopalatiale » (1700 à 1400 avant notre ère). Les palais de Cnossos, Phaistos et Malia font partie de la période des nouveaux palais. Cette période est celle de l’essor de la civilisation minoenne qui se reflète dans le luxe des nouveaux palais et la croissance démographique. A partir de 1600, 1400 avant notre ère, débuta le déclin de la civilisation minoenne pour des raisons qui demeurent encore incertaines. L’île connut finalement une période hellénique entre 330 et 67 avant J.C. puis une période romaine (67 avant J.C. à 323 après J.C.).

Les premiers palais ont donc été détruits vers 1700 avant notre ère, victimes a priori de tremblements de terre. Ils furent reconstruits par de nouveaux palais plus modernes, plus vastes, comportant plusieurs étages. Il y avait des appartements agrémentés de balcons, des bâtiments administratifs, des salles de réception, de nombreux sanctuaires, des ateliers, des magasins où étaient entreposés dans d’énormes jarres (les « pithoi » que l’on peut encore admirer sur les sites archéologiques des palais minoens) pour conserver l’huile, le vin, les grains, les céréales et les légumineuses. Toutes ces pièces étaient organisées autour d’une cour centrale. Il existait également une cour ouest pouvant comporter une structure à degré souvent associée à un théâtre. Les Minoens ont déployé dans ces palais toute leur ingéniosité, inondant les pièces de soleil grâce à des puits de lumière, installant des systèmes de circulation de l’air, de canalisation et d’évacuation des eaux (des siècles avant les Romains), de bains lustraux pour les appartements royaux, etc.

Escaliers du palais de Phaistos en Crète
Escaliers du palais de Phaistos en Crète
Bassin lustral du palais de Phaistos en Crète
Bassin lustral du palais de Phaistos en Crète

Ces palais se caractérisent par ailleurs par leur taille et leur complexité tant les pièces et les appartements étaient nombreux. Cnossos en est la plus célèbre illustration. Le site, aujourd’hui réduit à l’état de ruines, était si immense qu’il aurait fini par donner corps au mythe du labyrinthe et de son minotaure. Une légende qui trouve également un écho dans les tauromachies représentées sur les fresques murales et la vénération du taureau comme animal sacré. Cette ingéniosité inspira aussi d’autres théoriciens qui verront dans ce peuple les célèbres Atlantes disparus (cf. article sur la Crète île de légendes).

Les relations commerciales avec les autres peuples du bassin méditerranéen

La poterie crétoise retrouvée dans toute la région égéenne jusqu’en Sicile et en Espagne, montre l’expansion et la puissance maritime des Crétois à l’âge du bronze. Elle témoigne aussi des échanges que les Minoens semblaient entretenir avec leurs voisins méditerranéens et notamment avec l’Egypte antique qui évoquait les Crétois sous le nom de « Kefkiou ». Ces échanges avec l’Egypte semblent se retrouver dans l’art minoen. Caractérisé par un style naturaliste qui présage d’une harmonie entre le peuple et la nature environnante, il présente aussi quelques similitudes avec l’art de son voisin égyptien. Ainsi les figures de jeunes hommes et de jeunes filles apparaissent marchant de profil tout en présentant un oeil dessiné de face rappelant les bas-reliefs de l’Egypte antique.

Les traces laissées par les défunts évoquent aussi ces échanges. Un sarcophage retrouvé sur le site crétois d’Hagia Triada (datant de 1400 avant J.C., il est aujourd’hui exposé au musée d’Heraklion) indique que son défunt entretenait certainement des relations étroites avec l’Egypte antique. Dans sa tombe se trouvaient en effet des inscriptions mentionnant la reine égyptienne Hatshepsout (1490 – 1436 avant J.C.). Il semblerait par ailleurs que ces échanges aient perduré jusqu’à la fin de l’antiquité. L’île possédait en effet une position idéale, faisant office de carrefour méditerranéen entre le nord et le sud de la mer, entre la péninsule balkanique et la côté africaine, dont l’Egypte mais également la Libye. Des céramiques crétoises ont ainsi été retrouvées sur le site libyen de Tocra, au Liban et en Egypte où ont été découvertes dans le palais de Tell Kabri (Liban) et de Tell el-Dab’a (delta du Nil) des fresques de type crétois. On y a notamment retrouvé les représentations des célèbres tauromachies minoennes. Il semblerait que les échanges se soient prolongés au delà de la Méditerranée. C’est ce que montrent les lingots de cuivre, indispensables en cette période d’âge du bronze, retrouvés sur le site archéologique de la villa d’Hagia Triada, dont les isotopes du plomb révèlent des origines afghanes.

Vestiges du palais de Malia en Crète
Vestiges du palais de Malia en Crète

Le déclin des Minoens

Il semblerait qu’une explosion volcanique suivie d’un tsunami dévastateur ait eu raison des Minoens. La violente éruption du volcan de l’île voisine de Théra (l’actuelle île de Santorin aujourd’hui célèbre pour ses magnifiques maisons blanches aux toits ronds et bleus ) aurait pu mettre fin à cette civilisation. Il est attesté que vers 1620 avant notre ère, le volcan de l’île entra dans une terrible éruption. Près de 135 km2 de l’île furent engloutis dans la mer et il est fort probable que la Crète, située à seulement 160 kilomètres au sud, ait subi les conséquences de cette éruption sous la forme d’un violent tsunami. Une catastrophe dont les Minoens auraient eu bien du mal à se relever, sonnant le glas de la civilisation minoenne qui perdit sa domination de la mer Egée.

Les origines du déclin des Minoens et de la destruction des nouveaux palais restent cependant encore incertaines. Car si l’éruption volcanique de l’île de Santorin a certainement dut être une véritable épreuve, elle n’explique pas tout. L’éruption est en effet datée de 1650 avant J.C  tandis que l’abandon des nouveaux palais remonterait à environ 1400 avant J.C.

Une nouvelle étude donne par ailleurs une autre lecture de l’évolution de la civilisation minoenne et nous rappelle que l’histoire était sans doute plus complexe qu’elle ne parait. Un phénomène d’abandon des sites et d’habitations minoennes a été observé dans la plupart des régions de Crète entre la période des anciens palais (2000-1700 avant J.C) et des nouveaux palais (1700-1400 avant J.C.). Ce phénomène avait jusqu’à présent été expliqué par des facteurs politiques (du fait que le site de Cnossos gagne en importance après la destruction des anciens palais et qu’il aurait dominé l’ensemble de la Crète pendant la période des nouveaux palais). Une équipe d’archéologues de l’École française d’Athènes du CNRS a constaté que ce phénomène d’abandon était particulièrement présent dans la région du palais de Malia dans le nord-est de l’île. Entre la période des premiers palais (détruits vers 1700 avant notre ère) et celle des nouveaux palais (détruits vers 1400 avant notre ère), les Minoens n’auraient abandonné que des sites occupés sur les pentes de la montagne qui domine Malia. 

Les archéologues ont mis en évidence trois grandes zones sur ces sites : les plaines sèches de la côte, une zone d’altitude quasiment inhabitée et entre les deux, les pentes plus arrosées de la montagne. Ce serait cette zone qui aurait été abandonnée pendant la période des nouveaux palais au profit des plaines pourtant arides et difficilement cultivables. Cet étrange exode vers les plaines aurait selon les chercheurs une explication. Les Minoens auraient pu trouver le moyen d’exploiter les réserves d’eau en sous-sol et ainsi d’irriguer les plaines de la côte. Ainsi, cette innovation hydraulique aurait entraîné l’abandon progressif des pentes de montagnes et des sites minoens. Quant à l’évolution du peuple minoen, il semblerait que les recherches archéologiques aient encore beaucoup de choses à nous apprendre.

Les Minoens semblent ainsi avoir été une civilisation florissante avant de tomber dans l’oubli pour être finalement redécouverts au début du XXème siècle. Car c’est bel et bien la mise au jour du palais de Cnossos dans le nord de la Crète qui fit rejaillir à la surface cette civilisation oubliée. Je vous propose ainsi de découvrir l’un des plus célèbres palais crétois, le palais de Cnossos. Aujourd’hui réduits à l’état de ruine, les palais crétois (Cnossos mais également les palais de Phaistos et de Malia) sont pourtant un formidable héritage de ce qui fut autrefois une grande civilisation.

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Pour en savoir plus je vous conseille de lire :

« Grèce, Voyages dans l’histoire », National Geographic, Tim Boatswain et Colin Nicolson, éditions 2012

« Cnossos, nouveau guide du palais de Cnossos » – Giorgos Tzorakis, archéologue, Editions Hespéros, Athènes 2008

« La Crète Minoenne, entre le mythe et l’histoire », Litsa I.Hadziphoti, éditions M. Toubis

 »Histoire du monde grec antique », François Lefèvre, éditions Le Livre de Poche, 2007

« La Crète, une île carrefour », Nicola Cucuzza, Archéologia n°507, février 2013

Müller Celka S. 2015. Recompositions spatiales du peuplement en Crète minoenne, ArchéOrient – Le Blog (Hypotheses.org), 1 mai 2015.

« Il y a 3500 ans en Crète, une invention provoque l’exode d’une civilisation », Nicolas Constans, Lemonde.fr, 18 juillet 2015