Santorin, au coeur des Cyclades. Ses villages blancs perchés sur une montagne noire et ocre nous rappellent en permanence les origines volcaniques de l’île. Elle semble bien tranquille aujourd’hui et l’on aurait tendance à oublier que Santorin n’est autre que le fruit du volcan le plus actif de Grèce et l’un des plus destructeurs au monde. Environ tous les 20000 ans, une super explosion a lieu. La dernière remonte au IIème millénaire avant notre ère. Les habitants d’Akrotiri, une extraordinaire et ingénieuse cité de l’âge du bronze allaient en payer le prix fort. Cette catastrophe fut d’une telle ampleur qu’elle aurait pu inspirer un célèbre mythe, celui de l’Atlantide. Qu’est-il arrivé aux habitants d’Akrotiri? Quelles furent les conséquences pour les autres civilisations méditerranéennes?
Akrotiri, détruite par une éruption volcanique
Dans les années 60, l’archéologue grec Marinatos mis au jour une cité de l’âge du bronze, Akrotiri. Elle était enfouie sous une dizaine de mètres de pierres ponces et de cendres volcaniques. Ses recherches révélèrent une cité à l’architecture étonnamment moderne pour l’époque, avec des immeubles de plusieurs étages, dotés de grandes fenêtres, et un ingénieux système d’évacuation des eaux. Les habitants de cette mystérieuse cité étaient également doués pour les arts, comme le montrent les peintures découvertes dans les maisons. Marinatos avait ainsi mis au jour une civilisation ingénieuse, raffinée et qui semblait être à son apogée au moment où une explosion d’une extrême violence s’apprêtait à engloutir la ville d’Akrotiri.
Lire l’article sur la vie à Akrotiri et la découverte de la cité en cliquant ici.
L’éruption volcanique sur l’île de Théra, ancien nom de Santorin, fut dans un premier temps datée vers 1500 avant J.C. Cette date reposait sur l’étude de poteries et des sources égyptiennes. Cependant, la datation au radio-carbone, la dendrochronologie (analyse des anneaux de croissance des arbres) et l’étude de carottes de glace ont montré que la catastrophe aurait eu lieu 100 ans plus tôt, vers 1615 avant notre ère.
A quelle période de l’année le volcan entra en éruption? Les chercheurs étudièrent des empreintes de feuilles d’olivier, emprisonnées dans les cendres volcaniques. Elles contenaient un large nombre de graines et de pollen ce qui leur permit de conclure que l’éruption eut lieu au printemps. Cette découverte concorde avec les découvertes des archéologues qui n’ont retrouvé que de petites réserves de grains et de légumes indiquant que les moissons n’avaient pas encore eu lieu.
Qu’est-il advenu du peuple de Théra? Les habitants ont-ils eu le temps de fuir? Ont-ils pu anticiper la catastrophe? La volcanologie associée à l’archéologie permet aujourd’hui de répondre à ces questions.
Akrotiri frappée de tremblements de terre
La violente éruption volcanique qui frappa Akrotiri fut précédées de signes annonciateurs en raison de la montée du magna vers la surface. Cela se traduit par une intensification de l’activité sismique, des émissions de gaz chauds et de petites éruptions. Les vestiges mis au jour à Akrotiri confirmèrent que l’éruption fut précédée de tremblements de terre. Les escaliers brisés en témoignent. Les maisons présentaient également les stigmates de sérieuses secousses et plusieurs d’entre elles furent détruites avant même l’éruption.
Selon les archéologues, les habitants d’Akrotiri auraient fuit la ville pendant le tremblement de terre. Ils seraient ensuite revenus pour porter assistance aux blessés, évacuer les cadavres en dehors de la cité, réparer les maisons et emporter les objets de valeurs. Les habitants ont donc eu le temps de s’enfuir, ce qui expliquerait qu’aucun corps n’ait été retrouvé et que très peu d’objets de valeur ou de bijoux aient été excavés. Néanmoins, seulement 3% de la ville a été excavée. De futures fouilles archéologiques pourraient ainsi nous révéler des surprises.
En 1999, fut découverte une magnifique figurine en or représentant une petite antilope. Elle reposait dans une boite en bois, dont seule l’empreinte a survécu, à côté d’une pile de cornes d’animaux, principalement des chèvres. Cet incroyable objet d’une quinzaine de centimètres de longueur est aujourd’hui exposé au Musée préhistorique de Théra à Fira. Que faisait-il là? A-t-il pu être oublié?
Les recherches montrent plutôt que les Akrotiriens n’ont pas eu le temps d’aller au bout de leur mission d’évacuation des objets et de réparation des immeubles. Les habitants durent de nouveau fuir la ville. En effet, de nouveaux tremblements de terre et de petites éruptions les obligèrent à trouver refuge ailleurs, avant l’éruption finale. Où ont-ils pu aller?
Les habitants ont-ils pu fuir l’île?
Il est peu probable que les habitants aient eu le temps de s’enfuir de l’île. L’équipe de chercheurs R. Cioni, L. Gurioli et A. Sbrana avancent une autre possibilité. Notre peuple de Théra aurait pu tenter de trouver refuge dans le Nord de l’île. L’équipe a en effet calculé la répartition et la concentration des dépôts de cendres volcaniques. Les premières cendres volcaniques, générées par de petites éruptions, auraient été dirigées vers le sud de l’île, où se trouve Akrotiri, en raison du vent venu du Nord. Il est donc possible que les habitants aient cherché à se réfugier dans le Nord de l’île, relativement épargnée par les premières projections de cendres.
L’éruption volcanique
L’éruption prit alors une tournure dramatique. Elle devint cataclysmique et ne laissa aucune chance aux malheureux habitants de Théra, quelque soit l’endroit où ils se soient réfugiés. Quatre phases, aussi terribles les unes que les autres, eurent lieu.
La première phase fut une éruption plinienne (qui doit son nom à Pline le Jeune qui décrivit des siècles plus tard l’éruption du Vésuve à Pompéi) soit une énorme explosion formant un panache volcanique qui aurait pu atteindre 35 kilomètres de hauteur. De ce panache, se mit à pleuvoir de la pierre ponce tandis que 4,6 millions de tonnes de magma étaient éjectées dans l’air. La concentration de fine particules de cendres étaient alors si forte que la vie sur l’île périt par suffocation.
S’ensuivit une deuxième phase où la mer s’engouffra dans le cratère et entra en contact avec le magma incandescent. L’énorme quantité d’énergie générée par la vapeur d’eau pulvérisa une large quantité de magma à une vitesse de 80 à 150 mètres par seconde. Puis, de colossales quantités de cendres furent expulsées sous forme de boue brûlante. Pendant cette phase, des bombes volcaniques, soit des fragments de lave solidifiée pouvant peser jusqu’à 8 tonnes, furent éjectées. Certaines de ces bombes atterrirent dans les maisons d’Akrotiri.
Comme si cela ne suffisait pas, s’ensuivirent des coulées pyroclastiques (mélange de gaz, de vapeur d’eau et de lave) d’une température de 350 degrés. Elles furent si dévastatrices qu’elles emportèrent des pans de murs des maisons d’Akrotiri.
Enfin, le volcan ayant éjecté des quantités phénoménales de magma, laissa derrière lui une chambre magmatique vide, entrainant son effondrement sur lui-même. Cela créa la caldéra que l’on peut aujourd’hui admirer depuis les hauteurs de l’île. Selon les chercheurs, l’éruption, qui fut l’une des plus violentes depuis 10000 ans, aurait duré deux à trois jours. Ainsi, cette exceptionnelle civilisation akrotirienne, avancée et raffinée, disparut en l’espace de seulement quelques jours. Il faudra attendre de nombreuses décennies avant que les plantes poussent de nouveau et que la vie reprenne lentement son cours.
Quelles furent les conséquences de l’éruption?
La catastrophe ne mit pas seulement fin à la civilisation d’Akrotiri. Elle eut aussi des conséquences dramatiques pour ses voisins. D’une part, un nuage mortel de vapeur s’abattit dans un périmètre de 50 kilomètres autour de l’île. Puis un monstrueux nuage de cendres volcaniques entama sa course létale vers les territoires situés dans l’est de la Méditerranée et en Asie Mineur, déposant une épaisse couche de cendres. Elle était de 30 centimètres à Rhodes et de 15 centimètres dans les lacs d’Asie mineure. L’éruption ayant eu lieu au printemps, ce nuage de cendre s’abattit sur les cultures et détruisit les futures moissons, condamnant ainsi les habitants à la famine.
S’ensuivit ensuite un ‘hiver volcanique’. D’énormes quantité de cendres et de gaz furent relâchées, laissant derrière elles du dioxyde du souffre qui resta dans la stratosphère pendant un long moment. Le gaz se mélangea aux fines particules d’eau liquide et se transforma en acide sulfurique. Non seulement ce phénomène réfléchit les rayons du soleil, mais en plus, il laisse échapper la chaleur thermale émise par le sol. Il est ainsi probable que les températures aient baissé de quelques degrés dans la région aegéenne.
Mais les conséquences les plus lourdes furent sans doute en Crète où prospérait une autre civilisation, les Minoens. La forte activité sismique, l’effondrement du cratère ainsi que les coulées pyroclastiques dans la mer ont crée d’immenses vagues qui auraient pu atteindre jusqu’à 15 à 20 mètres de hauteur lorsqu’elles arrivèrent sur les côtes crétoises. On peut facilement imaginer que les Minoens aient eu bien du mal à se relever de cette catastrophe, entamant le déclin de la civilisation minoenne, auquel s’ajoutèrent d’autres facteurs (en savoir plus sur le déclin des Minoens en cliquant ici).
Au delà de l’extraordinaire ville d’Akrotiri, il est possible que l’éruption volcanique de Santorin ait laissé un autre héritage derrière elle. Un mythe. Un mythe qui devint célèbre dans le monde entier. Un mythe qui conduit plus d’un aventurier dans une quête impossible. Ce mythe est celui de l’Atlantide.
Une catastrophe qui a pu inspirer le mythe de l’Atlantide
Le récit de Platon
Le récit de l’Atlantide naquit à Athènes sous la plume du philosophe grec Platon au Vème siècle avant J.C. Dans ce récit, Platon décrit une société remarquable où les Atlantes constituent un peuple très évolué et de formidables bâtisseurs. Forts de leur puissance, les Atlantes auraient fini par attiser la jalousie des dieux. En punition, elle fut engloutie par la mer suite à un tremblement de terre et un raz-de-marée, en l’espace d’un jour et d’une nuit.
Or, nous l’avons vu, les habitants d’Akrotiri et leurs voisins Minoens de Crète vivaient au sein d’une société plutôt avancée pour l’époque. Ils surent en effet faire preuve d’ingéniosité dans le domaine de l’architecture et développèrent un art magnifique. Ils étaient par ailleurs de bons navigateurs et s’étaient enrichis grâce à un fructueux commerce maritime. Théra a révélé une ville dont l’architecture et l’organisation faisait preuve d’une étonnante modernité tandis que les Minoens de Crète nous ont laissé d’extraordinaires palais (en savoir plus sur les Minoens en cliquant ici). De plus, si l’éruption de Santorin n’a pas immédiatement mis fin à la civilisation minoenne, elle a revanche anéantit les habitants d’Akrotiri. Cela semble ainsi concorder avec le récit de Platon.
Pourtant, malgré ces nombreux points communs, un détail majeur ne concorde pas, la date. Platon parle en effet dans son récit d’une civilisation disparue il y a près de 9000 ans. Or la catastrophe volcanique eut lieu environ 1000 ans avant la rédaction du Critias et du Timée. Ainsi, pour envisager que les Minoens soient les fameux Atlantes ou qu’ils les aient du moins inspiré, il faudrait donc admettre que la date donnée par Platon soit fausse. Mais au-delà de ce soucis de date, on peut par ailleurs se poser la question du bien-fondé même du récit de l’Atlantide.
Un mythe inventé de toutes pièces?
De nombreux aventuriers se sont lancés dans la quête de l’Atlantide, en vain. Certains ont cru la trouver en Amérique du Sud, d’autres dans les îles Canaries. Se pourrait-il que le récit ne soit finalement qu’une fable ? Une allégorie aux allures d’histoire vraie qui viserait à donner une leçon de morale aux Athéniens en dénonçant les travers d’une société vénale aux velléités impérialistes. C’est la théorie défendue par des chercheurs comme l’historien Pierre Vidal-Naquet pour qui l’Atlantide incarne une cité coupable de nombreux maux qui aurait fini par causer sa propre perte, après avoir atteint son apogée. Le récit de l’Atlantide ne serait donc qu’une mise en garde à l’attention des Athéniens.
Les similitudes entre les Atlantes et les civilisations minoennes et akrotiriennes laissent néanmoins penser que le philosophe ait pu s’inspirer de l’histoire de ces peuples disparus. L’éruption volcanique sur l’île de Théra fut, selon les scientifiques, d’une telle ampleur qu’elle a dû fortement marquer les mémoires et ainsi donner naissance à un mythe comme l’Atlantide. Leur culture raffinée, leur maîtrise de la navigation, de l’architecture, et des arts a pu inspirer les récits. En savoir plus sur le mythe de l’Atlantide en cliquant ici.
Pour en savoir plus, je vous conseille:
»Akrotiri, Thera 17th century BC – A cosmopolitan harbour town 3,500 years ago », C.G Doumas, C.Palyvou, A.Devetzi, C. Boulotis, 2015. Society for the promotion of studies on prehistoric Thera.
»The Minoan Eruption of the Thera Volcano and the Aegean World », George E. Vougioukalakis. Society for the promotion of studies on prehistoric Thera.
»Et Platon inventa l’Atlantide », Maurice Sartre, L’Histoire n°389, juillet-août 2013
»L’Atlantide rejaillit », Frédéric de Monicault, Historia n°660, 01/12/2001
Musée pré-historique de Théra à Fira, Santorini
Laissez un commentaire