Nous sommes sur la côte sud du Pérou. Face à l’océan pacifique, le paysage qui s’étend à perte de vue n’a rien de celui d’une tranquille station balnéaire. Désertique, de couleur ocre, jaune ou gris, présentant par endroit des falaises déchiquetées par la mer, voici le territoire où vivait le peuple Paracas il y a plus de 2000 ans.
Cette civilisation fut découverte en 1925 par l’archéologue Julio C. Trello, dans la péninsule de Paracas qui lui donna son nom. Les archéologues estiment que ce peuple vécut entre -500 et 100 de notre ère (parfois daté entre -600 et 200 après J.C.).
En regardant le paysage désolé de cette région du Pérou, il est difficile d’imaginer qu’une civilisation vivait autrefois ici. Or, ce peuple ne se contenta pas de survivre dans un territoire hostile. Les habitants de Paracas parvinrent à maitriser leur environment en exploitant les eaux souterraines. La culture Paracas se développa et laissa derrière elle un admirable art textile et une étonnante pratique funéraire. Plusieurs caractéristiques retiennent ainsi l’attention. L’art textile et l’iconographie des tissus mis au jour, la pratique funéraire des ‘fardeaux’ ainsi que les étranges crânes allongés des défunts et d’intrigants géoglyphes.
Les linceuls funéraires de Paracas
Lorsque Julio C. Tello et son équipe travaillèrent à l’excavation des tombes de Paracas, ils firent une surprenante découverte ; des corps momifiés étonnamment bien préservés. Les habitants de Paracas pratiquaient en effet un savant processus de momification aidé par l’aridité d’un désert qui ne pardonne pas.
Le processus de momification
Tous comme les Egyptiens, les embaumeurs retiraient les viscères, estomac, foie, et poumons des défunts. Le cerveau était également retiré par les voies nasales. Une résine était appliquée sur la peau et les cavités internes. On laissait ensuite le corps se dessécher en l’exposant au soleil brûlant du désert. Enfin, les corps étaient disposés en position foetale, peut-être prêts à renaitre, les genoux remontés jusqu’à la poitrine et les mains couvrant le visage. L’aridité du désert permit leur exceptionnelle conservation.
Les « fardeaux » funéraires
Mais l’exceptionnel état de préservation des momies n’est pas l’unique raison pour laquelle les pratiques funéraires de Paracas marquèrent les esprits. Les habitants de Paracas pratiquaient en effet le rite des « fardeaux » funéraires. Les corps assis en position foetale dans un panier étaient enveloppés dans d’abondantes couches de tissus en coton, formant ce qui fut appelé un « fardeau funéraire ».
Entre les couches de tissus, furent retrouvées diverses offrandes ainsi que des accessoires. La quantité et la qualité des offrandes dépendait de l’importance du défunt.
Céramiques et coquillages mais aussi des peignes, des perruques et des masques accompagnaient ainsi les défunts. Certains fardeaux étaient composés de tissus pouvant atteindre jusqu’à 20 mètres de long! L’ensemble des couches de tissus formaient ainsi une masse triangulaire imposante pouvant mesurer 1,60 mètre de hauteur, 2 mètres de large et pouvant peser plus de 100 kilos.
Une fabrication laborieuse
Pour couronner le tout, ces tissus étaient d’une extraordinaire beauté. De couleur orange, noire, jaune, verte, bleu, les textiles de Paracas étaient riches en iconographie. Détail qui a son importance, ces tissus n’étaient pas utilisés dans la vie de tous les jours, ils étaient réservés aux rituels funéraires. Ces textiles étaient si élaborés que l’impressionnante quantité de tissus retrouvés aurait nécessité environ 20000 heures de travail!
Il s’agit là d’une chose extraordinaire pour une civilisation qui vivait sur un territoire pour le moins hostile. On peut facilement imaginer la difficulté à faire pousser quoi que ce soit sur le sol rocailleux de Paracas et donc à alimenter la population. Malgré tout, le peuple de Paracas parvint à allouer un temps considérable et de la main d’oeuvre à la production de textiles qui ne seront même pas utilisés dans son quotidien. Cela montre à quel point les rites funéraires et probablement la préservation du corps dans l’au-delà étaient essentiels pour ce peuple.
On peut aussi supposer que ces rites étaient réservés à l’élite, compte tenu du temps et des ressources nécessaires à la fabrication de ces fardeaux funéraires. Ces énormes « paquets » étaient enterrés dans une chambre funéraire collective, de forme circulaire. Jusqu’à 37 fardeaux funéraires furent retrouvés dans une même tombe. Ils était accompagnés de céramiques.
L’art textile de Paracas
L’archéologue Julio C. Tello identifia deux périodes clés de la civilisation Paracas, basées sur l’évolution du style textile. La première phase, « Paracas Cavernas », se caractérise par la présence d’un personage anthropomorphe aux allures de félin sur des tissus en coton aux couleurs simples.
Une seconde période dite « necrópolis » se caractérise par une iconographie plus variée faite de poissons, oiseaux, félins et de plantes. On y voit également des personnages richement décorés de coiffes, de bracelets et brandissant des têtes trophées. Les têtes trophées, tranchées pendant la bataille, représentent la bravoure et les prouesses d’un guerrier. C’est également une explosion de couleurs sur les tissus. Le bleu ciel côtoie le jaune, rouge, noir et blanc. Au coton, s’ajouta la laine de lama. Quant aux défunts retrouvés dans les tombes, ils présentaient des ornements plus élaborés ; des parures d’or, des coiffes en plumes et de riches vêtements.
Les crânes allongés de Paracas
Une autre caractéristique pour le moins troublante de la civilisation de Paracas est la déformation crânienne des défunts. Cette déformation allongeant l’arrière du crâne était volontaire. La malformation était réalisée en compressant le crâne malléable des nouveaux-nés à l’aide de bandes en tissus enserrant leur tête. De cette manière, le crâne des individus paraissait plus grand et imposant.
Cette technique perdura jusqu’à l’arrivée des espagnols, transcendant la civilisation de Paracas. Mentionnée dans les chroniques espagnoles, la déformation crânienne était peut-être un marqueur social, une manière d’identifier les membres d’une même ethnie ou d’une même élite. Elle aurait pu jouer un rôle important d’appartenance ethnique reposant sur la différenciation physique. Paracas ne fut d’ailleurs pas la seule civilisation à pratiquer l’allongement des crânes.
L’allongement des crânes étaient aussi pratiqué en Asie et en Europe
La déformation crânienne était pratiquée par les Huns en Asie centrale entre la fin du Vème et le début du VIème siècle. Ces célèbres envahisseurs auraient exporté l’allongement des crânes. Ainsi, en Europe, les Burgondes pratiquaient ainsi également la déformation volontaire des crânes. Cette coutume jouait peut-être s’assimilation sociale ou peut-être s’agissait-il tout simplement de répondre aux canons de beauté de l’époque.
En 2019, une reconstitution en 3D du visage d’une femme burgonde a mis en lumière cette étrange pratique. Surnommée ‘la Dame de Dully’, cette femme fut découverte en 1974 dans la nécropole de Dully, sur la rive du lac Léman en Suisse. Si cette forme d’esthétisme peut nous paraitre bien étrange, son haut front et son long crâne lui donnent pourtant un air majestueux qui impose le respect.
Les géoglyphes de Paracas
Si Paracas ne peut rivaliser avec les incroyables géoglyphes de Nazcas (civilisation qui se développa au sud du Pérou entre 100 – 750 de notre ère, ses géoglyphes faisaient voir depuis le ciel d’immenses représentations d’animaux et des motifs géométriques), le peuple de Paracas a aussi laissé quelques géoglyphes derrière lui. La culture paracas étant antérieure à celle de Nazca, cela fait d’ailleurs d’elle la première à avoir crée des géoglyphes dans cette région du sud du Pérou. Creusés dans un sol rocailleux (et non dans le sable comme on pourrait le croire sur la photo), ces géoglyphes ont survécu pendant des siècles. Le plus célèbre d’entre eux, est le « chandelier ».
Faisant face à l’océan, d’une longueur de 181 mètres, il est visible à plusieurs centaines de mètres en bateau. Une poterie retrouvée à proximité datant du IIème s. avant J.C nous donne une idée de son ancienneté. Ce géoglyphe est associé à la civilisation de Paracas et pourrait représenter non pas un chandelier, mais une plante hallucinogène utilisée dans les rituels.
Récemment, en octobre 2020, c’est le géoglyphe d’un félin qui a été découvert. La fonction des géoglyphes demeure encore incertaine. Etaient-ils utilisés pour des rituels, pour être vus par les divinités ou bien encore servaient-ils de marqueurs de territoire? Le mystère reste entier pour l’heure.
Je m’en retourne à présent à l’immensité du désert de Paracas. Le vent et la poussière fouettent le visage et l’horizon semble se brouiller. Noyée dans la poussière pernicieuse du désert, la réserve de Paracas prend une tournure de plus en plus irréelle. Nous saluons au loin un groupe de flamands roses. Leurs longues pattes baignent dans une lagune semblant avoir été offert, dans un moment de clémence, par cet hostile environnement. Il est temps de partir et de laisser derrière nous les paysages arides de la côte sud du Pérou pour nous enfoncer dans les terres en direction d’Arequipa, de sa ville coloniale et de ses volcans.
Pour en savoir plus (en français et espagnol):
‘Pérou préhispanique, du peuplement jusqu’aux Incas‘, Milosz Giersz et Patrycja Przadka Giersz
‘Las culturas del Pérù Antiguo‘, Luis Felipe Villacorta Ostola
‘L’étonnante déformation crânienne de la Dame de Dully‘, Sciences et Avenir Bernadette Arnaud, 2 juillet 2019
Le musée Julio C. Tello, Paracas. Ce musée perdu au milieu de la réserve naturelle de Paracas n’est certes pas bien grand mais recèle d’informations et de pièces archéologiques clés sur l’histoire de Paracas.
Le musée d’histoire de Paracas, Juan Navarro Hierro où vous pourrez voir les intrigants crânes allongés.
Le musée Larco de Lima que je recommande vivement. Riches en artefacts, ce musée très instructif lève le voile sur les différentes civilisations pré-incas et bien sûr, nous en apprend énormément sur les Incas eux-mêmes.
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