Sa silhouette serpente le long des montagnes. Sous mes yeux, la célèbre muraille de Chine forme une ligne blanche rocailleuse qui semble s’étendre à perte de vue. Et pour cause. Ce dragon de pierre prend sa source dans la mer à l’est, traverse les déserts arides de Chine, et trône du haut des montagnes. Récemment reconstruite par endroits ou réduite à l’état de ruines sur d’autres tronçons, la muraille de Chine a une histoire aussi longue que la distance qu’elle parcourt, soit près de 20000 kilomètres.
Sa construction débuta il y a plus de 2000 ans pour protéger l’empire fraichement unifié des incursions nomades. Frontière, elle servira aussi de marqueur éthnique, distinguant la Chine des autres peuples barbares. Prouesse technique, travail the titan, elle connut pourtant des siècles d’abandon pour être finalement reconstruite au XVè et XVIè siècle par la dynastie Ming.
Née dans la douleur des ouvriers qui la construisirent, la muraille devint l’un des monuments les plus emblématiques de l’empire du milieu. Pourtant, le mur faillit par deux fois à remplir son rôle, celui de protéger l’empire des invasions. Quelle est donc son histoire?
Qin Shi Huangdi unifit la Chine: la muraille de Chine va naitre
Nous sommes au IIIème siècle avant notre ère. La Chine était alors un territoire morcelé en sept puissances et déchiré par les guerres. C’est la période dite des “Royaumes combattants”. Après des années de sanglantes campagnes militaires, le royaume Qin prit le dessus et parvint à conquérir tous les autres en 221 avant J.C. Le prince de Qin venait ainsi d’unifier le pays chinois par la force.
Ce conquérant se retrouva alors à la tête d’un immense territoire. Il se proclama empereur de Chine sous le nom de Qin Shi Huangdi et fonda la dynastie Qin. Cette dynastie aussi brève que violente, eut un impact si grand sur l’histoire de Chine qu’elle lui donna son nom (Qin se prononce ‘Chine’). Aussi cruel que mégalomane, ce premier empereur se fera bâtir un extraordinaire tombeau, gardé par des milliers de guerriers et chevaux en terre cuite (en savoir plus sur le tombeau de Qin Shi Huangdi à Xi’an).
L’empereur Qin fit construire la première Muraille de Chine au IIIème avant J.C
La Chine à présent unifiée n’en reste pas moins sujette à une menace venue du Nord ; les guerriers des steppes de Mongolie. Depuis le IVème siècle avant notre ère, les Xiongnu, cavaliers nomades aussi habiles à l’arc qu’au combat à cheval, lancent régulièrement des raids contre les états du Nord de la Chine. Attaquant par surprise, ils répandaient la terreur. Bien que peu nombreux, ces cavaliers représentaient une véritable menace et forcèrent la Chine à adopter une stratégie de défense.
L’empire nouvellement formé de Qin Shi Huangdi n’échappe pas à ces attaques venues des steppes. L’empereur prit alors la décision de construire une nouvelle muraille défensive, reliant des tronçons déjà existants. En effet, les états de Yan et Zhao avaient déjà érigé des fortifications, contre les autres royaumes ennemis, en plein désert. Les défenses faisaient environ 5000 kilomètres de long. Ce sont les prémices de la grande muraille.
Les méthodes de construction
Originellement construite en terre battue, la muraille faisait près de 6 mètres de hauteur. La terre étaient compressée jusqu’à ce qu’elle se transforme en un matériau dure comme de la pierre. Chose extraordinaire, des morceaux de ces tronçons sont parvenus jusqu’à nous, prouvant leur solidité. Entre chaque couche de terre, se trouvait une couche de roseau qui servait de liant.
La muraille était équipée d’un système défensif de pieux tandis que les soldats tiraient sur les attaquants. Il y avait également un ingénieux système de communication grâce aux tours de signalisation. Les vigies pouvaient transmettre des messages codés à l’aide de drapaux ou de feux pour prévenir d’invasions imminentes. Il ne reste plus que quelques fragments de cette première muraille.
Au-delà de son rôle défensif, la muraille servait aussi de base militaire à partir de laquelle les Chinois pouvaient à leur tour attaquer les territoires du Nord. Sa construction nécessita la mobilisation de milliers de travailleurs. Qin Shi Huangdi trouva cette main d’oeuvre auprès d’un peuple à peine remis des violences causées par les guerres des royaumes combattants.
La chute de la dynastie Qin
Lorsque Qin Shi Huangdi meurt en 207 avant notre ère, sa dynastie s’effondre. Sa politique tyrannique et violente conduit à des insurrections qui éclatèrent dès le lendemain de sa mort. Un des meneurs, Liu Bang, se proclama empereur sous le nom de Han Gaozu et fonda une nouvelle dynastie, celle des Han (206 avant J.C. – 220 après J.C.). Les empereurs Han allaient gouverner sur la Chine pendant près de quatre siècles.
Cette dynastie consolida le mur et ajouta de nouveaux tronçons. Sous cet empire prospère, le mur servit aussi de douanes. Mais de nouveaux adversaires firent leur apparition et la muraille fut étendue jusqu’à la mer.
Pendant plusieurs siècles, la muraille remplit ainsi son rôle protecteur. Mais tout change au XIIIème siècle. La Chine et sa muraille allaient devoir devoir affronter un adversaire de taille. Le célèbre Genghis Khan.
L’invasion mongole
Né sous le nom de Temujin en 1162, Genghis Khan créa dans le sang l’un des empires les plus fulgurants de l’histoire de l’humanité. Fils du chef d’une tribu mongole, il réunit sous son joug les guerriers nomades de Mongolie. En 1186, il devint le Khan des Mongols. En l’espace d’une trentaine d’années, il conquit les territoires d’Asie Centrale et d’Europe de l’est, semant la terreur sur son passage.
Ce chef suprême comptait bien ajouter la Chine à ses conquêtes. Cette Chine qui avait si fièrement rejeté les tribus nomades derrière son mur. Les Mongols attaquèrent la Chine sur plusieurs fronts à partir de 1209. Après des siècles de tentatives, ce peuple nomade finit par franchir le mur et envahir la Chine. La violence et la désolation que les guerriers répendèrent sur leur passage semblent faire payer à la Chine ses siècles de résistance. Ils faudra pourtant aux Mongols plusieurs décennies pour soumettre cet immense territoire. En 1277, la conquête s’achève enfin par la prise de Canton dans le sud de la Chine, soit bien après la mort de Genghis Khan en 1227.
Les Mongols fondent la dynastie Yuan
Les Mongols vont peu a peu s’assimiler à ce peuple chinois certes conquis mais supérieur en nombre. Les conquérants utilisent les méthodes administratives chinoises et adoptent les institutions chinoises. Pour autant, la politique mongole est loin d’être tendre avec la population chinoise malmenée, lui imposant un système de castes et un lourd code pénal. Les Mongols finissent par fonder leur propre dynastie en 1271, celle des Yuan.
Régnant à présent sur un immense empire, les Mongols iront même jusqu’à changer leur capitale. Karakorum, capitale fondée par Genghis Khan au milieu de la steppe mongole, est devenue trop excentrée. Une nouvelle capitale est fondée. Il s’agit de Khanbalik, aujourd’hui Pékin.
Dans ce contexte, la muraille perd son utilité et sombre dans l’abandon. Pourtant, les Mongols ne sont pas à l’abri des dangers. A commencer par les soulèvements d’une population maltraitée. A la tête d’une de ces insurrections en 1348, se trouve un homme, Zhu Yuanzhang. Il mena la reconquête de la Chine dont il deviendra le nouveau souverain. En 1368, Pékin, la capitale des Yuan est conquise. Zhu Yuanzhang fonda une nouvelle dynastie, celle des Ming. Les Ming s’assureront que les Mongols ne reviennent pas. Avec eux, la Muraille de Chine va renaitre.
Les Ming redonnent vie à la Grande Muraille
Si la Chine n’est plus aux mains des Mongols, il ne cessent pour autant pas de représenter une menace. Les attaques continuent dans le nord, poussant les Ming à renforcer leurs défenses. Au XVème siècle, de nouvelles murailles sont édifiées, atteignant une longueur d’environ 5000 kilomètres. Ce sont ces murailles que l’on peut aujourd’hui observer près de Pékin.
Une construction dans la douleur
Si les premières murailles étaient faites de terres battues, les Ming la construisent en briques. Mais la construction d’une muraille d’une telle longueur nécessitait un travail de titans. Des millions d’ouvriers furent mobilisés et nombre d’entre eux mourront sur le chantier.
La production à grande échelle de briques entraina une véritable révolution industrielle. Des millions de briques furent fabriquées aux pieds même de la future muraille. Aux briques, s’ajoute un ingrédient particulier qui donnera à la muraille son exceptionnelle longévité. Selon la légende, le mortier liant ces briques était fait des os des ouvriers morts à la tâche. En réalité, le mortier n’est pas fait d’os humains mais de riz gluant. Un matériau rendant le mortier solide mais aussi flexible, permettant de mieux résister aux tremblements de terre et aux boulets de canons.
Une muraille à l’entretien coûteux
Cette grande muraille qui se devait de fièrement protéger l’empire du milieu de ses ennemis barbares, va rapidement se transformer en éléphant blanc. Car non seulement sa construction a coûté cher mais il faut à présent l’entretenir et surtout, payer les milliers de soldats qui gardent la muraille. Les historiens estiment qu’il y avait près de 750 000 soldats, protégeant la frontière. Ils vivaient dans les fortifications dans de rudes conditions.
L’entretien de cette armée et du mur pèse sur les finances de l’état déjà mises à mal par les guerres avec le Japon et la Corée en 1598 ainsi que par une cour impériale très dépensière. Au début du XVIIème siècle, les finances du pays sont en ruines. A cela s’ajoutent des mauvaises récoltes en 1627-1628 provoquant des famines. Des insurrections éclatent et vers 1636, plusieurs provinces échappent au contrôle du pouvoir impérial. En 1644, les rebelles s’emparent de Pekin. L’empereur se suicide. C’est le début d’une guerre civile.
Or la menace mongole n’est pas le seul risque d’invasion étrangère qui pèse sur la Chine. Un autre peuple venu du Nord lorgne sur l’empire du milieu. Il s’agit des Mandchous. Venus de Mandchourie, aujourd’hui située dans le Nord de la Chine, ce peuple entend bien tirer parti du chaos qui règne en Chine pour conquérir le royaume. La muraille est parvenue à repousser les tentatives d’invasions pendant plusieurs décennies. Sera-t-elle une nouvelle fois capable de les arrêter?
La muraille, un fiasco militaire qui signe la fin des Ming
Cette Chine chaotique et affaiblie est une véritable opportunité pour les Mandchous qui attaquent en force. Or les soldats en poste sur la muraille sont alors pris entre l’armée de Mandchoue et les rebelles chinois. Le général de l’armée, Wue Sangui est alors face à un dilemme ; combattre les envahisseurs mandchous ou combattre les rebelles chinois. Le général prit parti pour les Mandchous et leur ouvrit les portes de la muraille. L’armée Mandchoue pénètre ainsi en Chine du Nord sans avoir eu à livrer bataille.
Cette muraille à l’incroyable coût humain et financier a ainsi laissé passer les Mandchous qui s’emparent du trône. Le mur se retrouve une fois de plus à l’intérieur d’un empire appartenant désormais aux Mandchous. Mais l’histoire n’est qu’une longue répétition. Les envahisseurs vont fonder une nouvelle dynastie, les Qing. Les Qing règneront sur la Chine jusqu’en 1912 où le dernier empereur sera destitué par les révolutionnaires.
La muraille est une nouvelle fois abandonnée. Sous la Chine de Mao, elle deviendra le symbole d’un pays fermé et inaccessible. Ce jusqu’à la célèbre visite de Nixon en 1972 et la politique d’ouverture de la Chine à la fin des années 70.
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Pour en savoir plus:
‘Le monde chinois, De l’âge de bronze au Moyen Age’, Jacques Gernet
‘Le monde chinois, L’époque moderne, Xè sieècle – XIXè siècle’, Jacques Gernet
‘La grande muraille, une frontière en trompe-l’oeil’, Borja Pelegero, Le Monde Histoire & Civilisations
‘Derrière le mythe: histoire de la Grande Muraille de Chine’, podcast de Fabrice d’Almeida, Au coeur de l’histoire
‘L’histoire cachée de la Grande Muraille de Chine’, documentaire Arte
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