Partons en direction du Japon. Nous sommes à la fin du mois de mars et les sakouras sont en pleine éclosion, recouvrant le pays d’une vague rose et blanche. L’atmosphère est féerique et contraste étrangement avec l’épisode sanglant de l’histoire du Japon que je m’apprête à raconter. Aux XVème et XVIème siècles, le territoire qui est aujourd’hui celui du Japon est marqué par de longs et violents conflits. Cette période est connue sous le nom de « Royaumes combattants ». Elle ne s’achèvera qu’au début du XVIIème siècle avec l’avènement d’une nouvelle dynastie, celle des Tokugawa. Ces nouveaux maîtres du pays prendront comme capitale Edo, la future Tokyo. Je vous propose de replonger au coeur de cette histoire mouvementée du Japon, aux côtés des légendaires guerriers samouraïs et de leurs maîtres, les daimyôs.
Crise de pouvoir dans le Japon médiéval
Nous sommes au XVème siècle. Le Japon n’est alors pas le pays unifié que nous connaissons aujourd’hui. L’empire du soleil levant était en effet le terrain d’affrontements de clans se disputant le contrôle de l’archipel. Le royaume possédait pourtant un empereur. Mais celui-ci avait surtout un rôle de figuration. Le véritable dirigeant était le shogun, choisit par l’empereur. Il régnait depuis Kyoto, alors capitale impériale.
Seulement, au milieu du XVème siècle, l’autorité du Shogun s’effondre. A l’origine de cette crise, se trouve l’affrontement de deux familles pour le trône. Chacune de ces familles était soutenue par des clans de samouraïs.
Face à cette crise du pouvoir, les gouverneurs locaux, les shugo, en profitent pour affirmer leur autorité tandis que des seigneurs de guerre tirent parti de la situation pour acquérir des territoires par la force. Appelés Daimyô, ces seigneurs sont à l’origine des propriétaires terriens désireux de s’emparer des terres de leurs voisins. Il pouvait aussi s’agir de samouraïs peu scrupuleux, ayant assassiné leur maître pour faire main basse sur leurs terres.
Le Japon au bord du chaos
Le Japon tombe alors dans une phase de chaos gouvernée par la violence et les ambitions de ces nouveaux seigneurs. Ces guerriers se font bâtir des châteaux en haut de collines d’où ils lancent leurs armées à la conquête de nouveaux territoires. Cette situation a même des conséquences sur le monde rural où les paysans prennent parti pour le nouveau seigneur local. Ils le soutiennent en labourant ses champs ou en s’engageant dans son armée en tant que fantassins, dirigés par des samouraïs fidèles au Daimyô. Parmi ces Daimyôs, l’histoire va retenir le nom d’un seigneur devenu particulièrement puissant, Imagawa Yoshimoto.
Les Européens introduisent le Christianisme et les armes à feu au Japon
Ces Daimyôs s’affrontèrent dans de violentes batailles qui mirent le Japon à feu et à sang pendant plusieurs décennies. Nous sommes alors au milieu du XVIème siècle. Or, à la même période, le Japon est marqué par l’incursion des premiers Européens. Ces derniers font leur apparition au pays du Soleil Levant sous la forme de missionnaires jésuites venus évangéliser les Japonais. Malgré l’hostilité de nombreux seigneurs locaux, il parvinrent à convertir plus de 250 000 Japonais et firent construire près de 200 églises. Ces conversions étaient probablement encouragées par les incessantes guerres civiles et les nombreux morts qu’elles entrainaient. Le Christianisme offrant une vie après la mort, cette nouvelle religion devait en effet être positivement reçue par ces populations continuellement menacées.
Aux Jésuites s’ajoutèrent également les marchands. En 1543, des commerçants portugais introduisent les premières armes à feu dans l’archipel. Elles sont présentées à Shimazu, maitre du territoire sur lequel avaient débarqué les Portugais. Shimazu était fasciné par ces nouvelles armes. Il acheta deux arquebuses et ordonna la reproduction de ces armes.
La découverte est révolutionnaire et va changer le cours des évènements. Ces armes sont reproduites par milliers et débarquent au milieu des champs de bataille. Elles vont en particulier favoriser un jeune Daimyô, Oda Nabunaga. Ce dernier va accomplir un exploit ; battre le puissant Imagawa Yoshimoto lors d’une embuscade en 1560. Ce génie militaire marchera huit ans plus tard sur Kyoto et s’auto-proclamera nouveau Shogun.
Les trois unificateurs: Nabunaga, Hideyoshi et Ieyasu
Le nouveau Shogun peut désormais régner en maitre sur un Japon unifié. Du moins le pense-t-il. Or, la traitrise est une pratique courante en ces temps troublés et Nabunaga n’échappe pas à la règle. En 1582, le Shogun est trahi par l’un de ses généraux et est contraint au suicide. Un autre de ses généraux, Toyotomi Hideyoshi, entreprit alors de venger l’assassinat de son maître. Il s’arrogea l’armée de Nabunaga et défit le traitre lors de la bataille de Yamazaki.
Puis, enchainant les campagnes victorieuses, Hideyoshi fit tomber l’une après les autres les régions du Japon refusant de reconnaitre son autorité. En 1591, le pays est presque unifié. Il reste encore une étape à franchir, l’attribution du rôle de Shogun. Or, l’empereur refuse d’offrir ce titre à ce guerrier d’origine paysanne.
L’échec de la guerre de Corée
L’histoire aurait pu s’arrêter là mais l’ambition dévorante de Toyotomi Hideyoshi en décida autrement. Le nouveau maitre voulut s’attaquer à la puissante Chine des Ming. Ses troupes débarquèrent en Corée où elles subirent une cuisante défaite. Lorsque Toyotomi Hideyoshi meurt en 1598, il laisse derrière lui un Japon loin d’être stabilisé. Son héritier est un enfant en bas-âge. Très vite, deux factions se forment. D’un côté, les fidèles d’Hideyoshi soutenant son héritier et de l’autre, l’ambitieux guerrier samouraï Tokugawa Ieyasu.
La bataille de Sekigahara met fin à la guerre civile
Tokugawa Ieyasu était l’héritier d’une famille de samuraïs. Enfant, il fut réclamé par le Daimyô local. Il servit ainsi d’otage pour s’assurer la loyauté de la famille d’Ieyasu. Il s’agissait d’une pratique courante pour constituer des alliances dans un monde où trahison et suspicion régnaient. Le jeune Ieyasu reçut une éducation de samouraï digne de son rang. Il apprit ainsi les arts martiaux et la stratégie militaire.
Lorsque le Daimyô mourut, Ieyasu recouvrit sa liberté et rejoignit les terres de sa famille. Il s’associa avec Nabunaga, l’assassin de son Daimyô. Mais lorsque Nabunaga fut à son tour assassiné, Iyeasu se trouva face à Hideyoshi. Fin stratège, Ieyasu préféra attendre son heure pour frapper. Et son heure, la voici arrivée avec la mort d’Hideyoshi.
Les deux partis, les soutiens d’Hideyoshi et d’Ieyasu, s’affrontèrent lors d’un sanglant et célèbre affrontement, la bataille de Sekigahara en 1600. Au cours de cette bataille, des alliés d’Hideyoshi virent volte face et s’allièrent à Ieyasu. Il s’agissait d’une pratique courante qui permit la victoire d’Ieyasu.
Cette bataille décisive allait ouvrir la voie à une ère de stabilité et de prospérité. Elle mit fin à plus d’un siècle de guerres civiles. En 1603, l’empereur fit de Tokugawa Ieyasu le nouveau Shogun. Ce dernier pouvait enfin régner en maitre sur le Japon. Mais il lui restait encore un obstacle à abattre, Toyotomi Hideyori, l’héritier de Toyotomi Hideyoshi.
Défaite et mort d’Hideyori
Tokugawa Ieyasu a donc en tête l’élimination de son dernier potential rival, Hideyori, le fils d’Hideyoshi. Le jeune Hideyori, à présent adulte, n’était alors pas dans une situation favorable. Son armée était composée de seulement 30 000 samouraïs alors que celle d’Ieyasu en comptait 194 000. Mais il fut rejoint par des milliers de Ronins, des samouraïs sans maitre, parmi lesquels se trouvait le légendaire escrimeur Miyamoto Musashi.
Au terme de deux campagnes militaires sanglantes, Hideyori dut se retrancher dans son château à Osaka. Assiégés, Hideyori et ses samouraïs se retrouvent à cours de vivres. La défaite est proche et le 5 juin 1615, Hideyori, sa mère et ses proches se suicident. Des milliers de soldats furent fait prisonniers puis exécutés. Quant au fils de 8 ans d’Hideyori, il fut également exécuté… Il était pourtant l’arrière petit-fils d’Ieyasu dont la petite-fille avait épousé Hideyori.
L’ère de Tokugawa et la naissance d’Edo, ancêtre de Tokyo
Cet affrontement sanguinaire met enfin terme à une guerre civile qui aura duré plus d’un siècle. Trois grands rivaux en auront été les ultimes combattants: Hideyoshi, Toyotomi Hideyori et Tokugawa Ieyasu. Malgré la mort d’Ieyasu en 1616, une nouvelle ère s’ouvrit, celle des Tokugawa. Cette dynastie allait régner sur le Japon pendant près de deux cents cinquante ans.
La capitale de cette nouvelle dynastie ne sera pas Kyoto mais Edo, qui donnera naissance à Tokyo. Sous le règne d’Hideyoshi, Ieyasu s’était en effet vu offrir des terres par le souverain Hideyoshi. Il fut envoyé á Edo, alors un simple village de pêcheurs situé à 500 kilomètres d’Osaka où régnait Hideyoshi. Ce geste aurait put être perçu comme insultant mais Ieyasu sut en tirer parti et fit construire un château à Edo.
L’ère du paix qui s’ouvrit permit à Edo de prospérer. Malgré cette opulence, qui aurait alors pu imaginer qu’Edo deviendrait un jour la folle et gigantesque métropole que l’on connait aujourd’hui!
Pour en savoir plus:
Historia 771, Mars 2011, Dossier ‘Shogun, les seigneurs du Japon’
Historia 764, Août 2010, Dossier ‘Samouraïs, vie et moeurs des légendaires guerriers du Japon’
Japon, La Voie Du Samurai, Mémoires D’un Empire Secret, Planète
Japon, La Volonté Du Shogun, Mémoires D’un Empire Secret, Planète
Les samouraïs japonais, 2000 ans d’histoire, France Inter – Interview de Julien Peltier
Romans historiques
Si vous souhaitez découvrir le Japon à travers des romans, je vous conseille également:
»La pierre et le sabre » et les autres tomes du roman éponyme Miyamoto Musashi d’Eiji Yoshikawa. Cette saga relate la vie du célèbre escrimeur et samouraï Miyamoto Musashi et fait revivre le Japon du XVIIème siècle.
»Une odeur de gingembre » d’Oswald Wynd. Ce roman historique nous transporte dans la Chine du début du XXème siècle sur fond de tentative de colonisation, puis dans le Japon des années 30 et 40. On y découvre Mary Mackenzie, une jeune écossaise qui, désireuse de s’extraire du carcan imposé par la société de l’époque, finira par s’en attirer les foudres.
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