Stockholm, musée Vasa. L’épave d’un énorme bateau se dresse fièrement. Son immense silhouette nous laisse sans voix. Lorsque l’on se rapproche, le choc est encore plus grand. Le navire regorge de motifs élaborés qui semblent avoir été récemment sculptés dans le bois. Son histoire remonte pourtant au début du XVIIème siècle, dans le royaume de Suède. Le 10 aout 1628, le Vasa, navire de guerre royal, vient d’être achevé au terme de trois années de labeur. Mais alors qu’il fait ses premiers pas en mer lors d’un voyage d’inauguration, le navire chavire et coule sous le regard médusé des spectateurs. Il emporta avec lui une trentaine de passagers. L’histoire du Vasa aurait pu s’arrêter là. Pourtant, dans les années 1960, une incroyable opération de renflouage parvint à extraire le navire de la mer baltique. Exceptionnellement conservée, cette superbe épave est unique à bien des égards. Elle a par ailleurs permis aux historiens de répondre à cette question : comment un tel drame a-t-il pu se produire?
Le Vasa, fer de lance d’un royaume en guerre
Conflit avec la Pologne et guerre de Trente ans
Au début du XVIIème siècle, la Suède n’est pas le royaume prospère que l’on connait aujourd’hui. Sa capitale, Stockholm, abritait une population pauvre de seulement 15000 habitants. La vie était dure et dangereuse. 80 meurtres était comptabilisés chaque année dans les rues de Stockholm.
Malgré tout, le roi Gustave II Adolphe entend bien faire de la Suède une puissance digne de ce nom. Et ce d’autant plus que le royaume s’apprête à entrer en guerre. En 1625, le roi de Suède engage une guerre contre la Pologne. Gustave Adolphe ambitionnait en effet de prendre contrôle des ports polonais se trouvant dans la Baltique. Cet affrontement se devait par ailleurs de mettre terme aux prétentions au trône du roi de Pologne, Sigismund, qui n’était autre que le cousin du roi de Suède.
Par ailleurs, débute en 1618 un conflit religieux qui déchirera l’Europe catholique et protestante. Il s’agit de la guerre de Trente ans (1618-1648). Protestant, le royaume de Suède s’engagera dans ce conflit à partir de 1630. Dans ce contexte belliqueux, construire une flotte puissante était ainsi indispensable au roi Gustave II Adolphe.
Ecatombe de la flotte suédoise
Mais les navires suédois ne se montrèrent pas à la hauteur des ambitions du monarque. C’est d’ailleurs toute une série de désastres qui va commencer. En 1625, dix navires surpris par une tempête s’échouent dans le golfe de Riga en Lettonie. La Suède étant alors en guerre contre la Pologne, il devient urgent de reconstruire une flotte. La même année, la couronne passe la commande du Vasa.
En 1627, le confit avec la Pologne se solde par la capture du navire amiral suédois et par le sabordage d’un autre vaisseau préférant échapper à la capture. En 1628, deux autres navires suédois coulent lors d’une tempête. Le Vasa marquera le coup de grâce de la flotte suédoise.
Le Vasa, un ambitieux navire
Il fut le navire le plus couteux construit en Suède à cette époque. Il équivalait en effet à un quart des récoltes annuelles du pays. Or, la Suède n’était pas un riche royaume. Le Vasa était également un projet extrêmement ambitieux par la taille du bateau. Jamais un vaisseau de cette taille n’avait encore été bâtit.
D’une longueur de 69 mètres et d’une hauteur de 52,5 mètres (de la quille au grand mât), le Vasa était si imposant que l’on dut faire abattre mille chênes pour sa construction. Le navire était équipé de 64 canons, pesant chacun une tonne, des mâts de 50 mètres de haut et une centaine de sculptures, autrefois recouvertes de peintures. Ce monstre marin se devait de faire la fierté des sujets du royaume et de susciter la crainte des puissances étrangères.
Une construction laborieuse
Pendant trois années, charpentiers, scieurs, voiliers, peintres, cordiers, forgerons trimèrent pour construire cet exceptionnel navire, aux proportions inégalées. Près de 400 personnes travaillèrent sur le chantier.
Compte tenu des gigantesques dimensions du bateau, l’on peut aisément imaginer les difficultés d’un tel projet. Le chantier prit ainsi du retard, aggravé par le décès du maître d’oeuvre en pleine construction. Pour ne rien arranger, le paiement de la commande par la couronne se fit attendre. Si bien que la famille responsable du chantier dut s’endetter pour financer la construction.
Le naufrage du Vasa, le 10 août 1628
Au terme de trois ans d’attente, le Vasa est enfin prêt. Il était amarré devant le palais royal. Le jour de son inauguration, une foule se presse dans le port de Stockholm. Si le navire impressionne encore au XXIème, on peut aisément imaginer la réaction des Stockholmois en apercevant cet immense navire, recouvert de sculptures colorées et tape à l’oeil.
Se trouvaient à son bord une centaine de membres d’équipage, mais également leur femme et enfants. Les familles étaient exceptionnellement autorisées, pour l’inauguration, à les accompagner jusqu’à Vaxholm, situé dans l’archipel de Stockholm. Le bateau entama sa course, les voiles gonflées par le vent. Soudain, les observateurs restés sur le port virent le bateau se coucher. Les ouvertures pour les canons, les sabords, étaient restées ouvertes. L’eau s’y engouffra en un rien de temps. La catastrophe était alors ineluctable et le bateau mit seulement quelques minutes pour couler après avoir navigué sur seulement 300 mètres.
Le choc est immense. Une trentaine de personnes piégées à l’intérieur du bateau viennent de perdre la vie. Quant au fleuron de la marine royale, il repose désormais au fond des eaux de Stockholm. Que s’est-il passé? S’agit-il d’un accident ou d’un sabotage? L’équipage était-il incompétent? Le navire a-t-il été mal conçu? Le conseil du royaume s’empressa alors de lancer une chasse au responsable. Les historiens ont pu reconstituer cette enquête grâce aux procès verbaux des interrogatoires.
La chasse au responsable débute
Le capitaine du bateau qui avait survécu, fut arrêté après la catastrophe. Il fut l’un des premiers interrogés. Se défendant de toute incompétence et rejetant les accusations d’ivrognerie, il rejeta la faute sur la conception du navire. Selon lui, le Vasa aurait chaviré alors qu’il était seulement poussé par une petite brise. L’équipage interrogé blâma également l’instabilité du bateau ainsi qu’un problème de proportion.
Le concepteur du Vasa étant mort un an plus tôt, on se tourne alors vers les responsables de chantier. Ces derniers bottèrent également en touche, affirmant avoir scrupuleusement suivi les plans approuvés par le roi lui-même. L’enquête tomba ainsi dans l’impasse et personne ne fut jamais condamné.
Quelles furent les causes de la catastrophe?
En réalité, il semblerait que la catastrophe aurait pu être évitée. Des essais de stabilité avant l’inauguration avaient montré que le bateau était instable. Trente hommes avaient en effet dû courir d’un coté à un autre, un exercice qui dut être suspendu pour éviter que le navire ne chavire. L’amiral Fleming qui assistait aux essais ne s’était alors pas opposé au départ du bateau. Et pour cause, celui-ci était déjà construit et attendu avec impatience par le roi.
Quant à la cause du drame, elle serait à chercher dans le manque de connaissances techniques de l’époque. Le Vasa était beaucoup plus grand que les navires habituels. Ses proportions gigantesques et une ligne de flottaison trop basse furent ainsi à l’origine du chavirage du vaisseau.
Trois siècles plus tard, le Vasa est remonté à la surface
Des tentatives de renflouage du bateau eurent lieu peu après la catastrophe, sans succès. Puis, en 1660, des renfloueurs équipés d’une cloche de plongée, entreprirent de récupérer les canons. Sous la houlette de deux hommes, von Treileben et Peckell, fut réalisé l’exploit de remonter cinquante canons, chacun pesant une tonne, entre 1664 et 1665.
Après ces opérations, le navire sombra peu à peu dans l’oubli. On en fini même par perdre l’emplacement du naufrage. Le Vasa semblait ainsi destiné à reposer au fond de la mer baltique pour toujours. C’était sans compter Anders Franzén, ingénieur et expert de l’histoire navale de Suède qui entreprit de localiser l’épave, trois siècles plus tard.
Dans les années 50, Anders Franzén se lança à la recherche du navire. Il lui fallut près de cinq années pour localiser le Vasa. Ce fut chose faite en août 1956. Mais la tâche de faire renaitre le Vasa était alors loin d’être achevée. Comment faire remonter le bateau à la surface?
On fit appel à une société, Netpun, pour faire remonter le navire à l’aide de câbles passés sous le Vasa. Cela appliquait d’envoyer des scaphandriers creuser des tunnels sous le bateau à l’aide de jets d’eau sous pression. Il faut alors imaginer que ces hommes travaillaient au fond d’une mer vaseuse où la lumière ne perçait pas à plus de trente mètres de profondeur. Grâce à leur courage, les tunnels furent prêts au bout de deux ans. Il fallut ensuite renforcer la coque dont les planches de bois n’étaient plus maintenues par les boulons détruits par la rouille.
Enfin, le 14 avril 1961, le Vasa put remonter à la surface, après avoir passé 333 années au fond de la mer.
Le grand défi de la conservation
Le Vasa allait pouvoir livrer ses trésors. Non pas un butin constitué d’or mais de précieuses informations sur les pratiques navales du XVIIeme siècle et la vie des marins. C’est également un trésor artistique que le Vasa allait révéler avec ses milliers de sculptures. Têtes de lion, chérubins dodus, guerriers, sirènes aux formes voluptueuses, figures grimaçantes aux couleurs autrefois criardes, décoraient le Vasa.
Mais pour l’heure, l’urgence est à la conservation du bateau dont le bois risquait d’être détruit s’il n’était pas traité. Le Vasa fut ainsi aspergé d’un mélange d’eau et de polyéthylène-glycol pour le protéger.
Le Vasa connait ainsi aujourd’hui une deuxième vie. Si tenté que l’on puisse parler de première vie, tant elle fut courte. Il trône dans ce qui est l’un des plus exceptionnels musées d’Europe. On y admire non seulement cet incroyable vestige mais l’on y découvre aussi la vie quotidienne des marins. Vêtements, nourriture, vaisselles, pièces de monnaie, jeux de société, font ainsi revivre les victimes du naufrage.
Aujourd’hui, l’aventure continue pour le Vasa. Scientifiques et restaurateurs sont confrontés à de nouveaux défis de conservation. En 2016, les 5500 boulons ajoutés au navire dans les années 60 durent être remplacés. Ils endommageaient le bois sous l’effet de la rouille et d’une réaction chimique. Or changer une telle quantité de boulons sur un navire aussi fragile ne fut pas une partie de plaisir. Encore plus récemment, un des canons perdus du Vasa auraient été identifiés pendant l’été 2018. Ce bateau mythique ne finit donc pas de nous faire rêver et d’imposer de nouveaux défis pour les générations futures.
Pour en savoir plus:
‘Vasa, the story of a Swedish warship’, Marika Hedin
Le catalogue Vasa, Erling Matz, 2012
L’aventure du Vasa, documentaire d’Anders Vahlgren
‘Found, maybe: 17th-century cannon belonging to iconic Swedish shipwreck‘, Emma Löfgren, 28 août 2018, Thelocal.se
‘Why the Vasa is getting a makeover… and losing weight‘, Lee Roden, 1er juin 2016, Thelocal.se
Et je vous invite bien évidemment à vous rendre au musée Vasa de Stockholm.
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