Gravures de Tanum, Suède

Les fascinantes gravures de l’âge du bronze de Tanum

La côte ouest de la Suède regorge de remarquables gravures sur roche. Des milliers de bateaux, de mystérieuses sphères, d’animaux et d’étranges figures humaines recouvrent des centaines de rochers dans la région du Bohuslän. Guerriers, archers, danseurs, chevaux, taureaux, oiseaux, les silhouettes peintes en rouge sont d’une vivacité et d’une expressivité telle qu’on s’attendrait presque à les voir s’animer sous nos yeux. De quand datent ces pétroglyphes ? Que nous apprennent ces images sur le peuple qui les a gravées dans la roche ? Que signifiait cet art ? Comment expliquer l’omniprésence de bateaux sur des rochers situés à une dizaine de kilomètres de la mer ? Pour répondre à ces questions, nous avons rencontré Lars Strid, archéologue au musée de Vitlycke, sur le site archéologique de Tanum classé au patrimoine de l’Unesco. 

Comment furent gravés les pétroglyphes ? Étaient-ils peints en rouge ?

Cervidés et danseurs, dalle de Fossum, Suède

La plupart des gravures de Tanum sont aujourd’hui recouvertes d’une peinture rouge foncée afin de les rendre plus visibles aux visiteurs. Une pratique débutée dans les années 50. Mais étaient-elles peintes à l’origine ? Selon l’archéologue Lars Strid, la réponse est non. « Si nous avons bien retrouvé des traces de peinture sur roche, nous n’en avons pas retrouvé la moindre trace sur les gravures. Il est possible que les gravures étaient visibles d’une autre manière ».

Les artisans des pétroglyphes de Tanum utilisaient des marteaux de pierre pour graver une roche plate, polie par les glaces, faite de granite ou de quartzite (roches extrêmement dures à tailler). Cette pratique faisait apparaître un dessin blanc et brillant se démarquant de la surface de la roche plus foncée.  

« Nous avons essayé de faire notre propre gravure. Il nous a fallu 6 heures pour faire un bateau. La profondeur était de seulement 0,6 millimètres alors que la version originale en faisait 1,6 millimètres. Il nous a fallu une heure environ pour tailler la surface. Ce que nous avions sous les yeux était une roche blanche sur une surface sombre. » 

Lars Strid, archéologue
Gravure non peinte, dalle de Balken. Magnifique cheval solaire tirant l’astre à travers le ciel, du matin au soir.

De quand datent les gravures de Tanum ? 

Lorsque les gravures furent redécouvertes et étudiées au XIXème siècle, certaines personnes ont cru y voir l’oeuvre de Vikings. Les gravures de Tanum sont en réalité bien plus anciennes. Les pétroglyphes s’étendent en effet du Néolithique jusqu’à l’âge de fer. Mais c’est surtout à l’âge du bronze que les gravures ont proliféré. En Scandinavie, l’âge du bronze débute vers 1700 avant notre ère et s’arrête vers -500, le bronze étant ensuite supplanté par l’arrivée d’un nouveau métal, le fer.

« Nous savons que les gravures de Tanum sont de l’age du bronze car les objets représentés sur les rochers, comme les haches, les boucliers et les bateaux, sont typiques de cette période. Les dessins de bateaux sont similaires à ceux gravés sur des rasoirs retrouvés dans des tombes. Nous savons que les sépultures sont de l’age du bronze car elles ont été datées au carbone 14. Si la poupe and la proue des bateaux s’inclinent vers l’intérieur, alors il s’agit d’un bateau de l’âge du bronze. A l’âge du fer, seul l’avant des bateaux est représenté. » précise Lars Strid. Comment se fait-il d’ailleurs qu’autant de bateaux soient représentés ? 

Dalle de Fossum, l’une des plus organisées, fournies et uniformes. L’une des plus belles dalles de pétroglyphes.

Que signifie l’omniprésence des bateaux ?

Impossible d’échapper aux abondantes gravures de bateaux lorsque l’on se rend sur les différents sites recouverts de pétroglyphes. Allongés, plats, les bateaux sont élégamment encadrés par une proue et une poupe au cou élancé. D’étranges bâtons occupent les navires. Ces bâtons sont en réalité des membres de l’équipage. Chaque “bâton” représente soit un unique passager ou bien deux passagers de profil. On peut aussi y voir des hommes soufflant dans des cors ou bien brandissant d’énormes haches. La découverte en Suède de haches en terre cuite et recouvertes d’une pellicule de bronze, indique aux archéologues qu’il s’agissait d’armes destinées à des rituels. Les haches étaient jetées dans l’eau comme offrande. Il est ainsi possible que ces scènes d’hommes brandissant des haches soient une représentation de ces rituels. 

Hache d’argile recouverte de bronze utilisée comme offrande. Musée d’histoire de Göteborg, Suède.

Ce sont près de 10 000 gravures de bateaux qui ont été identifiées sur les rochers du Bohüslan. Leur taille varie, le plus grand navire faisant 4,5 mètres de long. Tanum se trouve certes non loin de la côte mais le paysage environnant les pétroglyphes ne laisse voir que des champs et des arbres. Comment expliquer alors que les bateaux soient aussi présents ? 

De nombreuses interprétations ont fait des bateaux la symbolique d’un voyage vers l’au-delà. Il est vrai que dans de nombreuses cultures, comme en Grèce antique, le bateau transporte les défunts vers l’autre monde. Quant aux Vikings, ils creuseront, des siècles plus tard, des tombes recouvertes de pierres formant un navire. Cependant, pour l’archéologue Lars Strid, les gens qui ont interprété les bateaux ont oublié un détail essentiel ; le paysage était autrefois très différent de ce que l’on voit aujourd’hui. 

Dalle de pétroglyphes de Fossum.

Un paysage bien différent du temps de l’âge du bronze

Car il y a 3700 ans, le niveau de la mer était d’environ 17 mètres plus haut. Ou plus exactement, la terre délivrée du poids de l’âge de glace s’est progressivement surélevée. Les roches de Tanum faisaient donc face à la mer lorsque les habitants du Bohüslan entreprirent de les graver. 

Ainsi, ces gravures seraient l’oeuvre d’un peuple de la mer qui vivait essentiellement de la pêche et du commerce (l’agriculture n’était pas l’activité principale sur un sol argileux qui s’y prêtait mal). 

Les gravures de bateaux, rituel de protection des navigateurs ?

Bateaux de la dalle d’Aspeberget. Un filet d’eau coulait sur les navires.

Ces pétroglyphes de navires étaient aussi orientés de manière à ce qu’un filet d’eau s’écoule dessus. L’image ci-contre nous montre des bateaux représentés sur la dalle d’Aspeberget. La couleur foncée de la roche indique la présence de l’eau coulant autrefois sur les embarcations. Cela ne relève pas du hasard.

Les habitants de l’âge du bronze voulaient que l’eau coule sur les gravures, en particulier là où se trouvent les bateaux. Il est possible qu’en gravant les bateaux, ce peuple espérait que cela ait un effet sur les véritables embarcations. 

« Les gravures avaient peut-être une fonction magique destinée à protéger les vrais bateaux. Graver un bateau sur la roche avant de prendre le large était peut-être le moyen de s’assurer un voyage sain et sauf. Ou bien il s’agissait d’une façon de remercier les dieux d’un retour sain et sauf. »

Lars Strid, archéologue  

Un peuple de la mer, commerçants et guerriers

Nous savons à présent que le peuple du Bohüslan était un peuple de la mer. D’autres gravures en attestent comme ces images ressemblant à des traîneaux. La chose ne serait pas étonnante dans un pays comme la Suède. Lars Strid balaye pourtant cette hypothèse.    

Gravures sur la dalle d’Aspeberget. Ce qui ressemble à un traineau est en réalité un bateau.

« De nombreux interprètes ont cru voir des traîneaux. Or le climat était beaucoup plus doux à l’âge du bronze. Il s’agit en réalité de bateaux et s’ils ressemblent à des traîneaux c’est parce que les bateaux étaient poussés sur le rivage. Il n’y avait pas de ports, les bateaux étaient poussés sur les rives. » 

Si l’on a bien affaire à un peuple de la mer, on peut en revanche s’étonner de l’absence de représentations d’animaux marins. Alors que les taureaux et chevaux ne manquent pas, il n’y a pas le moindre poisson. Les seules représentations d’animaux marins sont une baleine et un phoque. Cela implique-t-il que les gravures étaient essentiellement symboliques et n’illustraient pas la vie quotidienne ? Ou alors, cela nous montre que les navires représentés ne sont pas des bateaux de pêche mais des bateaux de guerre et de commerce.

Baleine bleue de la dalle de Vitlycke, l’une des rares représentations d’animaux marins.

L’âge du bronze, un monde interconnecté

Loin de l’image de peuples isolés les uns des autres, l’âge du bronze était un monde interconnecté par les échanges commerciaux. A commencer par le bronze lui-même, ce métal si précieux composé d’étain et de cuivre. Les habitants de l’actuelle Suède devaient importer ces deux métaux. L’étain pouvait provenir du sud de l’Angleterre et le cuivre de la région méditerranéenne. Le métal était échangé contre des fourrures d’animaux et du bois tandis qu’au Danemark, c’est de l’ambre que l’on échange. 

Ce sont aussi des tissues, de la laine et des objets manufacturés qui étaient échangés avec le reste de l’Europe. De nombreux boucliers sont gravés sur les roches de Tanum. Or, selon Lars Strid, « le même style de boucliers a été retrouvé en Espagne ! Nous avons aussi trouvé un bouclier dans l’Est de la Suède qui avait été fabriqué en Extremadura en Espagne ». Mais aux échanges de biens s’ajoute aussi celui du sombre commerce des esclaves, comme le feront plus tard les Vikings. 

Des échanges commerciaux mais aussi culturels 

Aux échanges de biens s’ajouta celui des idées. On peut peut-être voir dans les représentations de taureaux l’influence de l’art méditerranéen. En Crète par exemple, le taureau occupait une place importante dans l’art minoen

Des canards sont aussi représentés à Tanum. « Il semblerait que les gens soient devenus obsédés par les canards a une certaine époque dans la deuxième moitié du l’âge du bronze. On a retrouvé des représentations en Scandinavie mais aussi en Europe centrale. Ces canards nous racontent l’histoire d’une connexion entre la Scandinavie et l’Europe centrale », nous raconte Lars Strid.  

Que représentent les gravures de Tanum ?

Si la signification réelle des gravures restera sans doute un mystère, plusieurs interprétations ont néanmoins été proposées par les archéologues et historiens. 

La plupart des figures humaines masculines sont en érection ce qui fait probablement référence à la fertilité mais peut-être aussi à la force. Ces hommes pourraient ainsi être des guerriers ou bien appartenir à une élite masculine. Ou alors, il pourrait tout simplement s’agir de distinguer les figures masculines des figures féminines. 

Où sont les femmes ?

L’une des rares images de femme sur les pétroglyphes du Bohüslan. Le cercle pourrait être un symbole de fertilité.

Lorsque l’on admire les gravures de Tanum, on ne peut s’empêcher de remarquer le peu de représentations de femmes. On reconnaît les quelques pétroglyphes de femmes grâce à leur tresse en queue de cheval. Ce type de coiffure était caractéristique de l’époque. Les archéologues ont en effet retrouvé cette coiffe sur des dépouilles très bien conservées de femmes de l’âge du bronze au Danemark.

L’une des représentations les plus célèbres d’une femme est celle dite des “mariés” sur la dalle de Vitlycke. Une autre femme est représentée sur la dalle de Fossum. Une étrange sphère flotte entre ses cuisses. Il pourrait s’agir d’un symbole de fertilité. Une autre interprétation suggère que cette femme pourrait donner naissance.

« Les tombes de femmes sont en général plus riches et plus larges que celles des hommes. Mais les représentations de femmes sur les rochers sont très rares. Il se peut que les femmes étaient chargées de superviser la ferme lorsque les hommes partaient en voyage. »  

Lars Strid, archéologue

Soleils ou roues ?

Dalle d’Aspeberget. Ce qui semble représenter un soleil est entouré de deux femmes et de ce qui pourrait être des oiseaux.

De nombreuses formes circulaires peuplent les dalles de pierre de Tanum. On les trouve parfois entourées de ce qui ressemble à des oiseaux.

Le soleil jouait un rôle essentiel dans la vie des habitants de l’âge de bronze. Il ne serait donc pas étonnant que le soleil soit divinisé et que les disques représentent l’astre solaire.

D’autres disques ont des croix au milieu. Il pourrait aussi s’agir de roues. Après tout, la roue à l’âge du bronze jouait un rôle capital tandis que le char était un symbole de pouvoir. On peut voir dans la mythologie viking un échos de l’âge du bronze. Thor, l’une des plus importantes divinités, se déplaçait sur un char, comme l’élite de l’âge du bronze.

Ces formes circulaires, représentant possiblement l’astre solaire, semblent avoir évolué au fil du temps, devenant de plus en plus élaborées.

Des trous de coupe par milliers

Si les bateaux sont nombreux sur les rochers de Tanum, il ne s’agit pourtant que du deuxième objet le plus représenté. Près de 40 000 petites boules recouvrent les rochers. On les appelle les trous de coupe. Ces gravures pourraient même être plus anciennes que l’âge du bronze. Elles pourraient remonter au néolithique. 

Leur signification demeure un mystère. Cette signification a par ailleurs sans doute évolué au fil des millénaires. Une tradition locale nous donne cependant un indice. Les habitants du Bohüslan avaient pour habitude de laisser des offrandes, comme des objets métalliques, dans de petits trous gravés dans la roche. Ces trous de coupe servaient-ils à recevoir les offrandes des habitants du néolithique et de l’âge du bronze ?  

Roche recouverte de trous de coupe. Musée d’histoire de Göteborg.

Les pétroglyphes, une tradition de plusieurs centaines d’années

Il arrive parfois d’apercevoir d’étrange gravures ou des dessins qui se télescopent. Les graveurs avaient-ils un si mauvais sens de l’espace ? En réalité, si les représentations se chevauchent parfois c’est tout simplement parce qu’elles ont été re-gravées sur plusieurs centaines d’années. Parfois, les tailleurs ont même gravé de nouveaux dessins par dessus les anciens ou bien adapté les anciens dessins pour les rendre plus conformes à leur époque (voir image ci-dessous). 

« Nous savons également que les dessins ont été re-gravés au fil des années, voire même sur plusieurs centaines d’années. car certains bateaux ont des styles différents, comme s’ils étaient l’oeuvre de différents graveurs vivant à des époques différentes. Parfois, l’espace de temps est énorme, pouvant aller jusqu’à 700 ans. »

Lars Strid, archéologue
ll semblerait que des ajustements aient eu lieu au niveau de la proue et la poupe du navire, « modernisant » ainsi la représentation. Dalle d’Aspeberget.

Le lapse de temps sur un même panel de roches est si énorme qu’il est possible que la signification même des gravures ait évolué. Le “Dieu au javelot” sur la dalle de Litsleby en est un bon exemple. 

D’une hauteur de 2,30 mètres, ce pétroglyphe retient toute l’attention au point d’éclipser les autres gravures. Il semble qu’à la fin de l’âge du bronze, l’individu occupe une place plus importante dans les représentations. Une évolution des pratiques funéraires (on passe de l’enterrement à la crémation) indique par ailleurs un possible changement de religion. Dieu ou individu, nous avons en tous cas une figure de la fin de l’âge bronze entourée de bateaux du néolithique (reconnaissable à leurs triples lignes) et de l’âge du fer (seul l’avant des bateaux est représenté).

Dalle de Litsleby – « Dieu au javelot »

Le défi de préservation des gravures de Tanum

Le site de Tanum regorge de milliers de gravures faisant défiler des siècles d’histoire sous nos yeux, du Néolithique jusqu’à l’âge de fer. Il est fort probable que de nombreuses autres gravures demeurent cachées sous la végétation et la mousse recouvrant les roches. Et elles le resteront sans doute pour un certain temps. Car l’heure n’est pas à la découverte mais à la préservation des pétroglyphes déjà mis au jour. 

Ces fascinantes gravures sont en effet menacées par l’érosion et les infiltrations d’eau qui risquent de faire éclater la roche lorsqu’elle gèle en hiver. Par ailleurs, les rochers ont été nettoyés par les premiers archéologues à coup de produits chimiques. Les minéraux les plus tendres n’ont pas résisté. Faute de solution durable pour protéger les pétroglyphes de Tanum, les archéologues du musée de Vitlycke s’emploient à cataloguer et numériser ces exceptionnelles gravures.

Nous laissons à présent les pétroglyphes du Bohüslan derrière nous. Si leur réelle signification restera sans doute un mystère, l’archéologie permet néanmoins de lever une partie du voile sur le quotidien et les croyances de ceux qui les ont façonnées. Un peuple vivant de la mer, de l’agriculture, et des échanges commerciaux avec le reste de l’Europe. Un peuple qui divinisait le soleil, faisant des offrandes et qui espérait peut-être protéger les siens en gravant ces fabuleuses silhouettes dans la pierre.


Pour en savoir plus, je vous conseille: 

“La route des gravures rupestres, Bohüslan”, musée du Bohüslan

“Rock carvings at Vitlycke”, Christina Toreld, Andreas Toreld and Tommy Andersson, musée du Bohüslan

Et bien sûr, une visite des sites de pétroglyphes de Tanum : les dalles de Vitlycke (le musée de Vitlycke organise des visites guidées), de Fossum, de Litsleby, et d’Aspeberget font partie des plus impressionnantes gravures sur roche de Tanum.