Vallée Sacrée, Pérou.

Comment les Incas contrôlaient leur immense empire?

Si le Pérou regorge de traces archéologiques témoignant des brillantes civilisations ayant vécu sur son territoire, les Incas demeurent néanmoins la plus célèbre civilisation pré-hispanique. Il faut dire que les Incas ont réussi l’exploit de bâtir un immense empire, Tahuantinsuyo, en l’espace d’un siècle seulement. Ainsi, entre le début du XVème siècle et du XVIème siècle, les Incas firent la conquête d’un territoire allant de l’actuel Equateur jusqu’au Nord du Chili, en passant par les côtes du Pacific, l’impitoyable cordillère des Andes et le célèbre lac Titicaca. Les Incas se rendirent maître d’un territoire à l’incroyable diversité. Diversité des populations conquises mais également diversité géographique. Montagnes, côtes désertiques, Altiplano et jungle faisaient partie de l’empire inca. Mais comment les Incas parvenaient-ils à contrôler un tel territoire?


Cusco, la capitale politique et religieuse de l’empire

Trois grands empereurs incas façonnèrent l’empire inca; Pachacutec, Tupac Yupanqi et Huayna Capac. Il est difficile de dater avec précision l’histoire inca, ce peuple n’ayant pas laissé d’écrits. Les historiens estiment néanmoins que l’empereur Pachacutec accéda au trône en 1438 après avoir vaincu ses rivaux, les Chancas. Ambitieux, Pachacutec entreprit la conquête de la région du Cusco. C’est sous son règne que nait le grand empire inca. Cet empire portait le nom de Tahuantinsuyu, signifiant « les quatre quartiers » en langue quechua.

Le pouvoir était centralisé à Cusco où vivait l’empereur et où s’exerçait le contrôle politique. Signifiant « nombril du monde », Cusco étaient une ville resplendissante aux rues pavées et aux temples couverts d’or. Les palais et monuments étaient admirablement construits à partir de pierres parfaitement encastrées les uns contre les autres, sans mortier. La technique était si parfaite qu’il est impossible de glisser une feuille de papier entre chaque pierre. Si l’héritage architectural de Cusco est aujourd’hui clairement colonial, certaines rues témoignent encore de la lointaine présence des Incas. On peut ainsi contempler les extraordinaires murs incas qui font l’admiration des voyageurs et historiens.

Ruelle de Cusco au murs incas, Pérou.

Célébrations des momies des empereurs incas

Cusco était également le centre des cérémonies religieuses. Qoricancha, le temple du soleil, abritait les momies des empereurs défunts qui étaient déifiés. Les gens du commun n’avaient d’ailleurs pas le droit de regarder l’empereur Inca, être divin et fils du Soleil (en savoir plus sur les origines divines des Incas ici). Une fois morts, les empereurs étaient momifiés et célébrés dans des rituels. Il faut imaginer ces momies desséchées, vêtues de riches vêtements et exposées sur des sièges d’or. On servait aux momies à manger et à boire (on leur servait la « chicha », de la bière de maïs) tandis qu’elles assistaient aux spectacles de danse.

La religion pour unifier et légitimer l’empire

Enfants du Soleil, les Incas rendaient un véritable culte à Inti, le dieu du Soleil. Ce dieu était représenté sous la forme d’un disque en or au visage humain, entouré de rayons solaires. Les Incas lui rendait hommage dans des temples du soleil. Les plus célèbres de ces temples sont celui de Qoricancha à Cusco, que les Espagnols reconvertirent en couvent, celui d’Ollantaytambo avec ses immenses monolithes de couleur rose et bien sûr, celui du Machu Picchu.

Ces cultes étaient essentiels et permettaient d’unifier l’empire formé en un temps très court. Les origines divines des empereurs incas leur assuraient légitimité et respect auprès des populations conquises. Mais la religion n’était pas le seul aspect utilisé par les Incas pour harmoniser l’empire. Les fils du Soleil imposèrent aussi leur culture à travers leur langue, le Quechua et leur architecture. Cette architecture inca, si reconnaissable avec ses murs de pierres encastrées et ses porches en forme de trapèzes, se retrouve aux quatre coins de l’empire. Religion et culture formaient ainsi un élément clé d’unification et donc de contrôle de l’empire.

Temple Qoricancha converti en couvent. Des lamas et des maïs géants en or peuplaient autrefois ces jardins.
Temple Qoricancha converti en couvent. Des lamas et des maïs géants en or peuplaient autrefois ces jardins.

Le contrôle des populations

Trois empereurs belligérants ont bâti Tahuantinsuyu en quelques décennies seulement. Lorsque les Incas faisaient la conquête d’un nouveau territoire, les tribus locales avaient alors deux choix. Se rallier ou combattre.

Plusieurs choisirent de combattre. Ce fut le cas du grand royaume de Chimu dans le Nord du Pérou. Malgré leur ténacité, le peuple Chimu finit par être vaincu par les guerriers incas (en savoir plus sur l’histoire des conquêtes incas). Mais les Incas n’ont pas uniquement étendu leur territoire par la force. Les souverains locaux étaient aussi assujettis par la diplomatie et devenaient les vassaux de l’empereur Inca. Les structures politiques des territoires conquis étaient maintenues tandis que l’élite politique demeurait, bien qu’étant sous contrôle de fonctionnaires incas.

Le « mitmac », déplacement des peuples

Une fois le territoire conquis, les Incas avaient recours à une méthode pour s’assurer le contrôle des populations assujetties. Il s’agissait du « mitmac ». Des gouverneurs locaux étaient installés tandis que les populations étaient déplacées. De cette manière, les Incas brisaient l’unité des territoires soumis et s’assuraient de la main d’oeuvre pour leurs abondantes constructions. Cela permettait également de déplacer les connaissances de ces populations en matière d’orfèvrerie, de céramiques, de tissage dans tout le royaume.

Le « mitmac » était une pratique douloureuse pour les populations déplacées de force. Car en plus de quitter leur terre natale et de devoir mettre au profit de l’empire leurs connaissances agricoles et artisanales, ces populations devaient également servir de guerriers et parfois, offrir des enfants en sacrifice. On peut donc aisément comprendre que l’empire inca ne soit jamais venu au bout des menaces permanentes de rebellions et qu’un véritable sentiment de haine se soit développé. Haine et désir de vengeance qui tourneront à l’avantage des Conquistadors espagnols pendant la conquête.

Rue du village de Chinchero, Pérou.

Les célèbres routes des Incas, « Qhapaq Ñan »

La communication était essentielle pour contrôler cet immense empire. Les biens venant des quatre coins de « Tahuantinsuyu » devaient être acheminés tandis que les révoltes devaient être rapidement réprimées. Ce fut possible grâce au formidable réseau routier des Incas. Sentiers pavés, ponts suspendus et garnisons formaient « Qhapaq Ñan ». Ces routes ne sont cependant pas l’apanage des Incas. Car des sentiers existaient déjà avant eux. Ces chemins avaient sans doute été façonnés par la civilisation pré-inca Wari. Les Incas les améliorèrent et les agrandirent si bien que cet ensemble de routes se serait étendu sur près de 30 000 à 50 000 kilomètres. Il existait des garnisons militaires tous les 20 kilomètres environ ce qui permettait de rapidement mater les rebellions.

Cette oeuvre colossale facilita également le déplacement de populations. Aux garnisons militaires, les « tambos », s’ajoutaient les abris pour les messagers, les « chasquis », et les caravanes de lamas transportant les biens. Les Chasqis se relayaient environ tous les deux kilomètres, assurant ainsi une communication rapide au sein du royaume.

Une production agricole de masse

Terrasses et citadelle de Pisac, Pérou.
Terrasses de Pisac, Pérou.

Les conquêtes des Incas, un peuple originaire des rives du lac Titicaca, étaient originellement motivées par la recherche de terres fertiles. Ainsi, la capacité des Incas à contrôler leur territoire résidait en partie dans leur savoir-faire agricole et leur capacité à produire de la nourriture en masse.

Ce n’était pourtant pas chose aisée. Entre déserts, vallées et montagnes, le territoire qui correspond aujourd’hui au Pérou, n’est pas vraiment un territoire propice à l’agriculture. Et pourtant, les Incas parvinrent à dompter ces terres caillouteuses et ses fortes pentes. Les Incas avaient hérité d’une technique déjà pratiquée par les anciennes civilisations andines ; les terrasses. Ainsi, c’est un véritablement réaménagement du territoire auquel se livrèrent les Incas en construisant des canaux et des terrasses pour cultiver ces territoires en pente. La Vallée Sacrée autour de Cusco est ainsi peuplée d’escaliers géants à flanc de montagne. Certaines de ces terrasses avaient aussi le double usage de soutenir des constructions incas bâties en pente. C’est le cas du fameux Machu Picchu ou de la superbe citadelle de Pisac.

Marché de Chinchero, Pérou. Tubercules et maïs.
Marché de Chinchero, Pérou. Tubercules et maïs.

La redistribution des récoltes

Le maïs était la principale plante cultivée et stockée dans d’immenses entrepôts. Des piments ont également étaient retrouvés lors de fouilles. A cela s’ajoutait la culture du quinoa, de la pomme de terre, de citrouilles, poivrons, etc. Enfin, l’élevage des lamas et des alpagas était essentiel. Les lamas étaient élevés pour leur viande et le transport de biens tandis que les alpagas étaient utilisés pour leur laine. La diversité du territoire inca permettait une production variée de nourriture. Il semblerait que les productions agricoles étaient collectées par l’Etat qui se chargeait de leur redistribution. Un procédé qui a sans doute du contribuer à l’impopularité des maîtres incas.

Un curieux site archéologue près de Cusco pourrait bien témoigner de l’ingéniosité agricole des Incas. Il s’agit des terrasses de Moray. Les archéologues ont observé une différence de températures entre les différents niveaux. Les terrasses étaient également pourvues d’un système d’irrigation. Moray aurait pu s’agir d’une sorte de laboratoire agricole pour la production de plantes et céréales venant de différentes régions de l’empire.

Terrasses de Moray, Pérou.

La comptabilité des récoltes et les « Quipus »

Si les Incas n’ont pas laissé de traces écrites, ils possédaient en revanche un surprenant système de cordelettes et de noeuds, les « quipus ». Les Quipus étaient utilisés pour dénombrer les récoltes mais également recenser les habitants et enregistrer les évènements historiques. La grosseur et la couleur des noeuds indiquait la quantité et le type de donnée. Chaque noeud représentait un chiffre. Les Incas s’assuraient ainsi du contrôle d’une population d’environ 10 à 14 millions d’habitants conquise en l’espace d’un siècle seulement. Malheureusement, la signification de la plupart des quipus retrouvés reste encore un mystère.

Qipu inca exposé au Museo Larco de Lima, Pérou.
Qipu inca exposé au Museo Larco de Lima, Pérou.

La « Mita », système de tribut

Une partie des terres restaient à disposition des paysans mais le reste était propriété de l’Etat. Il s’agit du système de la « mita », consistant à verser un tribut à l’Etat.

La Mita, que l’on peut associer à une forme d’impôt des populations conquises, pouvait prendre d’autres formes. La « Mita » dite « guerrière » enrôlait les hommes aptes au combat tandis qu’un autre genre de « Mita » assurait de la main d’oeuvre pour les constructions, nombreuses chez les Incas, ou la maintenance de routes, ponts ou des palaces.

Déification des empereurs incas, langue, architecture visible aux quatre coins de Tahuantinsuyu, système administratif et agricole bien rodé, déplacement de population, réseaux de routes, etc. Tous ces éléments permirent aux Incas d’unifier et de contrôler un large territoire conquis en seulement quelques générations. Pourtant, malgré tous ces efforts, la révolte gronde auprès des populations soumises de gré ou de force.

Haine de la population et révoltes

Les conquêtes, le déplacement forcé des populations, les tributs agricoles mais aussi les sacrifices forcés d’enfants ont nourri une haine envers les Incas parmi les populations conquises. Huayna Capac, le dernier des empereurs incas conquérants, dut ainsi mater des révoltes dans le sud et le nord de l’empire où une seconde capitale fut établie à Quito (actuel Equateur). C’est dans ce contexte que des conquistadors, menés par Francisco Pizarro, débarquèrent sur les côtes désertiques du Pérou à la fin des années 1520. S’il y trouvèrent un civilisation avancée, ils purent aussi constater qu’y grondait le mécontentement et une haine dont ils sauront tirer partie.

La conquête espagnole

Forteresse d'Ollantaytambo, bastion de la résistance inca.
Forteresse d’Ollantaytambo, bastion de la résistance inca menée par Manco en 1536.

Or, au même moment, une première offensive espagnole frappa. Le coup fut porté par un ennemi invisible, la variole. Amenée par les Espagnols ayant conquis l’Amérique centrale, la maladie s’était propagée jusque dans l’empire du Soleil, décimant les populations locales n’ayant pas de système immunitaire adapté. Or, la variole ne fit pas n’importe quelle victime. Il s’agissait de l’Inca Huayna Capac lui-même. Il mourut, ainsi que le fils qu’il avait désigné comme successeur. Ce fut la porte ouverte à une guerre de succession opposant les Incas Atahuallpa et Huascar. Ce conflit sanglant allait également faciliter la conquête d’un immense empire par seulement une poignée de mercenaires espagnols en 1532.

C’est donc un énorme empire, bâtit très rapidement, composé de différentes populations et menacés de discordes que les Espagnols trouvèrent à leur arrivée. Ils sauront ainsi tirer parti de l’animosité de certaines populations contre les maitres incas et du conflit fratricide opposant les deux incas Huascar et Attahualpa se disputant le trône. En 1532 les Conquistadors s’emparèrent de celui qui sera le dernier inca, Attahualpa. Il sera exécuté quelque temps après, malgré le paiement d’une rançon d’or et d’argent. Ce sera la fin du grand empire empire inca. en 1533, Cusco tombera à son tour.

La fin de l’empire

Ainsi, Tahuantinsuyo, l’empire bâtit en seulement quelques décennies n’est plus. Malgré l’effort d’unification des Incas, ce royaume trop jeune et aux fondations trop fragiles n’a pu résister à la conquête espagnole et à l’avidité des Conquistadors qui s’empareront de l’or des Incas. Les conquérants d’hier devinrent ainsi les nouveaux vaincus. Le « Mitmac » se substitua à « l’Encomienda », soit le travail forcé des « Indiens ». Constructions incas, culte du Soleil et des momies désormais interdits durent laisser place aux églises espagnoles. Mais il n’est pas si simple d’effacer une culture. Car si l’empire inca fut bref, les croyances et culture étaient l’héritage d’une longue tradition andine profondément ancrée dans les populations. Certaines croyances survivront et évolueront, se mêlant aux nouveaux cultes européennes, formant ainsi une nouvelle culture andine.

Je vous invite à présent à découvrir l’histoire des monuments incas les plus emblématiques ; l’énigmatique Sacsayhuaman, la forteresse d’Ollantaytambo, la citadelle de Pisac et bien sûr, l’incontournable Machu Picchu.


Pour en savoir plus je vous conseille:

« Pérou préhispanique, du peuplement jusqu’aux Incas », Milosz Giersz et Patrycja Przadka Giersz

« Les Incas, peuple du Soleil », Carmen Bernard

« Descubriendo Cusco y el Gran Imperio Inca », Jose Miguel Helfer Arguedas

« Historia del Tahuantinsuyu », Maria Rostworowski de Diez Canseco

« Histoire de l’empire inca », documentaire, France 5, Science Grand Format

« Un empire sous le signe du Soleil », César Itier, Historia Spécial 54, Juillet-Août 2020

Ancien temple du Soleil, Qoricancha, transformé en couvent par les Espagnols. Les fouilles ont révélé les murs des temples incas que l’on peut aujourd’hui admirer à l’étage du bas.