1964 : la France reconnaît la République Populaire de Chine

Le 27 janvier 1964, le Général de Gaulle, alors président de la République française, reconnaît officiellement la République populaire de Chine. Une décision qui sort la Chine de son isolement diplomatique et qui provoque une vive réaction sur la scène internationale dans un contexte de guerre froide opposant les blocs de l’Ouest et de l’Est. D’où vient cette volonté de reconnaissance de la Chine de Mao Zedong? Quelles seront les conséquences pour les deux nations ? Retour sur un événement qui a marqué l’histoire des relations diplomatiques de la France et de la Chine et dont nous nous apprêtons à fêter les 50 ans ce mois de janvier 2014.

Les relations franco-chinoises depuis la naissance de la République populaire de Chine en 1949

Le 1er octobre 1949, Mao Zedong proclame la République populaire de Chine. Le régime succède à la République de Chine et le gouvernement de Chiang Kai-Shek qui dirigeait alors la Chine, se retire sur l’île de Formose (actuelle Taïwan). La France refuse à ce moment de reconnaître le nouveau régime, entraînant la rupture des relations diplomatiques avec la Chine. La question divise pourtant le gouvernement français. Si le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Robert Schuman, est favorable à une politique d’attente et de réserve, le président de la République, Vincent Auriol, serait davantage enclin à reconnaître le nouveau régime chinois. Enfin, le groupe communiste de l’Assemblée nationale soutient la reconnaissance de la Chine de Mao.

Quoi qu’il en soit, l’idée d’une reconnaissance de la Chine se heurtait à l’engagement de la France dans la guerre d’Indochine qui a fortement empoisonné les relations franco-chinoises, la Chine reconnaissant Hô Chi Minh. Par ailleurs, par le jeu des alliances, la France alliée des Etats-Unis se retrouva indirectement en « guerre » contre la Chine, alliée de la Corée, à l’occasion de la guerre de Corée (1950-1953) l’opposant aux Etats-Unis. La fin de la guerre de Corée et les accords de Genève en 1954 mettant fin au conflit en Indochine et à la présence française au Vietnam, constituèrent une première étape vers la reprise des relations diplomatiques avec la Chine. Zhou Enlai, alors premier ministre et ministre des Affaires étrangères de la Chine, s’est particulièrement impliqué dans la réalisation de ces accords. Il faudra pourtant attendre dix ans avant une reconnaissance officielle de la Chine par le gouvernement français.

La reconnaissance de la Chine par la France

Le 8 janvier 1964, le général de Gaulle, alors président de la République, fait part lors du Conseil des ministres de sa décision de reconnaître la République populaire de Chine. Le 27 janvier 1964, un communiqué est publié à Paris et Pékin informant de l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et la France.

Le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République populaire de Chine ont décidé, d’un commun accord, d’établir des relations diplomatiques. Ils sont convenus à cet effet de désigner des ambassadeurs dans un délai de trois mois

Communiqué de presse publié le 27 janvier 1964 à Paris et Pékin

Alors que le monde est divisé en deux blocs dans un contexte de guerre froide, la nouvelle fait l’effet d’un coup de tonnerre sur la scène internationale. Le gouvernement de Chiang Kai-Shek et les Etats-Unis sont furieux, ces derniers percevant cette décision comme une insolence, voire une trahison, d’autant que la France a également fait le choix de la neutralité dans le conflit vietnamien. Pour de Gaulle, il s’agit de faire preuve de réalisme en reconnaissant un pays abritant le quart de la population mondiale et un régime qui gouverne la Chine depuis quinze ans et ce, même s’il s’agit d’un régime communiste. De Gaulle se pose en visionnaire et comprend que le monde devra bientôt compter une nouvelle puissance mondiale, la Chine : « Il n’est pas exclu que la Chine redevienne au siècle prochain ce qu’elle fut pendant des siècles, la plus grand puissance de l’univers » indique-t-il en 1964.

La France s’engage à reconnaître la République populaire de Chine comme unique gouvernement légitime de Chine – et non celui de Chiang Kai-Shek sur l’île de Formose – à soutenir la Chine aux Nations Unies, à rappeler ses représentants français de Taïwan et à échanger des ambassadeurs avec la Chine de Mao. La République populaire de Chine a d’ailleurs fait savoir qu’une reconnaissance de son gouvernement impliquait irrémédiablement de rompre avec le gouvernement de Formose :

Selon la pratique internationale, la reconnaissance d’un nouveau gouvernement d’un pays implique de cesser la reconnaissance du groupe dirigeant renversé par le peuple d’un tel pays. En conséquence, les représentants de l’ancien groupe dirigeant ne peuvent plus être considérés comme les représentants du dit pays et être présents côte à côte avec les représentants du nouveau gouvernement dans un même pays ou dans une organisation internationale. (…) « Le gouvernement chinois estime nécessaire de réaffirmer que Formose fait partie du territoire chinois et que toute tentative de séparer Formose de la Chine ou de créer  » deux Chines  » est absolument inacceptable pour le gouvernement et le peuple chinois.

porte-parole du ministère des affaires étrangères à la presse le 28 janvier 1964

La conférence du 31 janvier 1964

Le 27 janvier 1964 la France reconnaît donc la Chine de Mao Zedong aux dépends du gouvernement de Chiang Kai-Shek. Le 31 janvier, suite à la publication du communiqué de presse, le général de Gaulle donne une conférence de presse où le président expose les raisons du gouvernement de reconnaître la République populaire de Chine et l’établissement de relations diplomatiques.

Du fait que depuis quinze ans la Chine presque toute entière se trouve rassemblée sous un gouvernement qui lui applique sa loi et qu’elle se manifeste au dehors comme une puissance indépendante et souveraine, la France était disposée en principe et depuis des années à nouer des relations régulières avec Pékin. D’ailleurs certains échanges économiques et culturels étaient déjà pratiqués et nous avons été amenés avec l’Amérique, l’Angleterre, l’Union soviétique, l’Inde et d’autres états, en 1954, à la conférence de Genève quand on a réglé le sort de l’Indochine, à négocier avec les représentants chinois. (…) Mais le poids de l’évidence et de la raison pesant chaque jour davantage, la République française a décidé de déplacer ses rapports avec la République populaire de Chine, sur un plan normal, autrement dit, diplomatique (…) En vérité, il est clair que la France doit pouvoir entendre directement la Chine et aussi s’en faire écouter. (…) En nouant avec ce pays, cet état, des relations officielles, comme maintes d’autres nations libres l’ont fait auparavant, et comme nous l’avons fait avec d’autres pays qui subissent des régimes analogues, la France ne fait que reconnaître le monde tel qu’il est. 

Extrait du discours du général de Gaulle le 31 janvier 1964

 

Entre pragmatisme et volonté d’indépendance dans un contexte de Guerre froide

Mais cette reconnaissance officielle de la République populaire de Chine relève aussi de la volonté d’émancipation du général de Gaulle vis-à-vis des Etats-Unis et de celle de la Chine de se soustraire à l’influence de l’Union soviétique. De Gaulle souhaite redonner à la France son statut de grande puissance mondiale et réaffirmer la voix française sur la scène internationale.

C’est ainsi qu’il prend la décision de poursuivre les recherches initiées sous la IVème République pour doter la France de l’arme nucléaire. La première bombe atomique française explosera d’ailleurs en 1960. Ces velléités d’indépendance ont aussi des conséquences sur la participation de la France à l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord, alliance militaire fondée en 1949 et rassemblant de nombreux pays occidentaux). De Gaulle ne supporte pas que la France dépende du commandement américain et tente sans succès à plusieurs reprises de modifier les conditions de participation à l’OTAN. En 1963, la France retire sa flotte du commandement de l’OTAN et en 1966, elle quittera définitivement l’organisme militaire. Parallèlement, de Gaulle multiplie les critiques à l’égard de la politique américaine concernant notamment guerre du Vietnam menée par les Etats-Unis. Il soutient des états du tiers-monde auprès desquels de Gaulle se positionne en tant que défenseur et libérateur, et il initie une politique d’entente et de détente avec l’URSS.

La France, en effet, poursuit seulement la ligne permanente de la diplomatie gaulliste: elle tente de briser le condominium soviéto-américain sur le monde, en engageant une partie séparée avec la Chine. Ensemble, estime-t-elle, ces deux pays auront peut-être assez de poids pour desserrer l’étau américano-soviétique et rendre quelque fluidité à la diplomatie mondiale.

Archives L’Express, « Du côté de chez Mao », Thomas Lenoir, publié le 23/01/1964

De son côté, la Chine de Mao s’éloigne progressivement de l’URSS et tente de se rapprocher des pays du « Tiers-monde ». Si la Chine s’inspire du modèle soviétique jusqu’en 1957 (adoption d’un plan quinquennal, nationalisation des entreprises, collectivisation des terres, etc.), le régime de Mao rompt avec l’URSS en 1958 et se retrouve isolée sur la scène internationale. Car depuis la politique maoïste du « Grand bond en avant » (1958-1960), programme de collectivisation agricole qui s’avéra être un échec, la Chine et l’Union soviétique sont progressivement entrées en conflit idéologique et les liens se sont amenuisés entre les deux puissances.

Parallèlement, la Chine oriente sa politique extérieure vers les « Etats non-alignés ». Dans les années 50, le régime reprend son activité diplomatique. La Chine participe ainsi à la conférence de Genève mettant fin à la guerre d’Indochine (cf. paragraphe précédent) et à la conférence de Bandoung (1955), marquant l’entrée sur la scène internationale des états du « Tiers-monde ». La Chine se positionne en leader de ces pays, traçant une troisième voix dans un monde coupé en deux blocs. Mais les résultats de cette politique sont plutôt mitigés. Les relations avec l’Inde sont perturbées par la révolte du Tibet en 1959 et une guerre sino-indienne aura même lieu en 1962 en raison d’un conflit frontalier. La politique extérieure de la Chine rencontrera plus de succès en Afrique où les états reconnaissent le gouvernement de Mao Zedong.

La France et la Chine veillant chacune à leur indépendance, ne se sont donc laissées enrôler dans aucun des deux camps et ont chacune souhaité faire entendre leur voix face aux géants qui dominent la scène internationale. La non-adhésion de la France au traité de non-prolifération nucléaire ratifié par les Américains et les Soviétiques va d’ailleurs rapprocher les deux pays. De Gaulle indique ainsi en 1963 : « il y a quelque chose d’anormal dans le fait que nous n’avons pas encore de relations avec le pays le plus peuplé du monde, sous prétexte que son régime ne plaît pas aux Américains et que ça les dérangerait si nous y faisions notre entrée ».

Le retentissement sur la scène internationale

La réaction de la communauté internationale est immédiate. La surprise est d’autant plus forte que la conclusion des échanges entre les deux pays s’est faite plus rapidement qu’attendu. La déconvenue est forte pour le gouvernement de Formose tandis que pour les Etats-Unis alors dirigés par Johnson, cet acte fait l’effet d’une provocation. Mais paradoxalement, selon L’Express dans un article publié le 21 janvier 1964, ce rapprochement aurait pu indirectement servir les Etats-Unis. Ces derniers ne pouvant continuer à ignorer indéfiniment la Chine de Mao en tant que réalité politique, la question de la reconnaissance de la Chine aurait tôt ou tard été posée. La France offrait ainsi aux Américains un avant-goût de ce que pourrait donner un rapprochement avec la Chine : « Mais le bénéfice de l’opération n’est pas aussi grand qu’il pourrait paraître: en dépit des protestations des Etats-Unis, mais avec l’approbation du Japon et du Canada, la France a aussi agi en éclaireur pour le compte des Etats-Unis. Elle a révélé la possibilité de rapports avec Pékin sans rupture avec Formose. » Archives L’Express, « Du côté de chez Mao », Thomas Lenoir, publié le   

Plusieurs types de réactions voient le jour parmi les autres pays. Celles qui vont dans le sens d’une approbation de l’initiative de Gaulle (Cuba, Ethiopie, Afrique francophone…) et celles de la neutralité ou de la prudence (Brésil, Portugal, Canada, Japon, Italie…). La Grande-Bretagne, qui avait déjà établi des relations diplomatiques avec Pékin, reconnaît le pragmatisme de la décision du président de la République française. L’URSS considère quant à elle une décision qui va dans le sens de la paix.

La politique de non-reconnaissance n’a rien rapporté. En fait, la participation de la Chine aux Nations unies est absolument indispensable si l’on tient à persuader ce vaste pays de prendre la place qui lui revient dans la communauté mondiale. Les motifs qui ont poussé le président de Gaulle à prendre cette initiative peuvent être divers : désir d’affirmer l’indépendance de la France ; désir de rétablir son influence en Asie ; désir de donner une leçon aux Américains et aussi d’avoir quelque chose de sensationnel à dire à sa conférence de presse prévue pour la fin du mois, alors que tous ses autres projets ont échoué. Pourtant, pour une fois, il semble bien qu’il ait parfaitement raison.

Observer, Londres, 1964 (Archives Lemonde.fr)

Les réactions se font aussi entendre dans l’espace politique français. Si certains considèrent que la France a enfin repris sa place sur la scène internationale ou que cette décision s’inscrit dans le cadre d’une politique réaliste, pour d’autres, entre peur du communisme et volonté de préserver de bonnes relations avec les alliés, la question divise.

Ainsi l’année 1964 marque le début de 50 ans de relations diplomatiques entre la France et la République populaire de Chine. Huit ans plus tard, ce sera au tour des Etats-Unis sous la présidence de Richard Nixon et par l’intermédiaire du secrétaire d’Etat Kissinger, de se rapprocher de la Chine pour la reconnaître officiellement en 1978. Enfin, la reconnaissance de la République populaire de Chine pose aussi la question de son entrée à l’ONU. Elle obtiendra finalement son siège en 1971. En mai 1966, le général de Gaulle reçoit à l’Elysée le premier ambassadeur de la République populaire de Chine, Huang Zhen. Mais de Gaulle ne se rendra quant à lui jamais en Chine en raison du début de la révolution culturelle et de son départ du gouvernement suite à son référendum perdu de 1969. Les relations diplomatiques sont coupées et la Chine se retrouve isolée pour plusieurs années. En 1973 les échanges culturels reprennent entre la Chine et la France et le président Georges Pompidou est reçu en visite officielle par Mao. Ainsi, entre amitié, fascination mais aussi conflit et aléa dans les échanges commerciaux, l’histoire dure depuis des siècles entre la France et la Chine. L’année 1964 a constitué un tournant dans l’histoire des relations diplomatiques des deux pays qui s’apprêtent bientôt à célébrer cette date clé, symbole d’une amitié franco-chinoise qui dure depuis 50 ans.

L’association lilloise les Amitiés Franco-Chinoises (sur Twitter : @AFCLille) célèbrera dès le 27 janvier 2014 sur son site http://www.50ans-50portraits.com/ les 50 ans de relations franco-chinoises en proposant le portrait de personnalités françaises et chinoises qui vivent ces échanges au quotidien.

Sources  :

Livres :

« La France en Chine. Du XVIIème siècle à nos jours », Bernard Brizay. Editions Perrin, 2013.

« Histoire du XXème siècle », Tome 2, Serge Berstein et Pierre Milza, édition Hatier

Documentaires :

« La Chine et nous, 50 ans de passions », production Ina avec la participation de France Télévisions. Ecrit et réalisé par Olivier Horn et Joris Zylberman.

« La diplomatie gaulliste : une certaine idée de la France », Morgane production avec la participation avec France 5, 2004. Ecrit par Jean-Michel Djian et réalisé par David Hover.

Archives :

Archives L’Express, « Du côté de chez Mao », Thomas Lenoir, publié le 

Archives Le Monde, « M. JACQUES BAUMEL : la France a retrouvé sa liberté de mouvement », publié le 28 janvier 1964

Archives Le Monde,  » M. MAURICE FAURE : il est regrettable que l’Occident n’ait pas concerté sa politique », publié le 28 janvier 1964

Archives Le Monde, « M. ANTOINE PINAY : un événement inéluctable, mais était-ce si urgent ! », publié le 28 janvier 1964

Archives Le Monde, « Le problème de l’admission à l’O.N.U. de la Chine populaire reste entier », publié le 29 janvier 1964

Archives Le Monde, « MOSCOU : la presse approuve la décision de Paris », publié le 29 janvier 1964

Archives Le Monde, « La déclaration de Pékin », publié le 28 janvier 1964

Archives Le Monde, « L’Ethiopie pourrait reconnaître Pékin », publié le 29 janvier 1964