La Cappadoce, une région au paysage unique marqué par l’éruption il y a des milliers d’années de trois imposants volcans qui ont laissé derrière eux une roche particulière, le tuf. Cette roche volcanique tendre et friable a été façonnée au fil du temps par l’érosion et l’infiltration des eaux, donnant naissance à un paysage parsemé de roches en forme de cheminées mais aussi à des constructions troglodytes creusées par la main de l’homme et à de gigantesques villes souterraines. Avec ses habitats hors du commun, ses forteresses, ses monastères et églises primitives taillées à même la roche ou encore ses caravansérails, la Cappadoce recèle de nombreux trésors historiques.
Difficile d’imaginer que dans cette région aride des centaines d’anciennes villes souterraines s’étendent sous nos pieds. Ces villes auraient été progressivement construites par les Hittites, un peuple venu du Caucase qui arriva en Anatolie vers 2000 ans avant J.C., pour se protéger des invasions. La Cappadoce était en effet une zone stratégique. Très convoitée, elle était située au carrefour des routes commerciales reliant les plus importantes régions du monde de l’époque : la chine, l’Inde, l’Egypte et Rome. Détenir la Cappadoce signifiait le contrôle des richesses qui y transitaient. Nombreux ont été les peuples qui ont tenté de s’en emparer : Romains, Perses, Mongoles etc. Ces invasions progressives auraient conduit les habitants à creuser des villes sous la surface puis à construire des forteresses pour se protéger.
Les Hittites instaurèrent un puissant empire dont la capitale était basée à Hattusa (aujourd’hui Bogazkale), contrôlant une bonne partie de l’Anatolie et rivalisant avec l’Egypte et Babylone. Pour des raisons encore énigmatiques, les Hittites auraient disparu au XIIème siècle avant J.C. Une disparition qui pourrait être due aux mystérieux « peuple de la mer » que mentionnent certains écrits de l’époque. Pourtant, loin de tomber en désuétude, ces cités souterraines connurent un renouveau avec les premiers Chrétiens fuyant les persécutions de l’Empire romain. Mais lorsque l’empire ottoman parvint enfin à contrôler la région, les cités tombèrent peu à peu dans l’oubli. Plus de 200 villes ont été dénombrées et des centaines d’autres seraient encore à découvrir.
Pourtant, loin de tomber en désuétude, ces cités souterraines connurent un renouveau avec les premiers Chrétiens fuyant les persécutions de l’Empire romain.
Les villes souterraines de Cappadoce, vestiges des civilisations Hittites
J’ai eu l’occasion au cours de mon séjour de visiter deux grandes villes souterraines : Derinkuyu, l’une des plus imposantes et plus célèbres cités mises au jour (je vous conseille d’ailleurs d’éviter les heures de pointe pour la visiter, privilégiez plutôt le matin ou entre midi et deux si vous ne voulez pas risquer d’être coincé dans les étroits couloirs avec plusieurs groupes de visiteurs) et Kaymakli. Je dois avouer avoir un faible pour la ville souterraine de Kaymakli, beaucoup moins fréquentée et plus fournie en pièces et lieux de vie.
Ces cités étaient reliées entre elles par un réseau de galeries qui n’ont été que partiellement mises au jour. Elles constituaient à la fois un lieu de vie destiné à abriter des milliers d’habitants pendant des mois et une citadelle infranchissable constituant un piège mortel pour les ennemis qui tentaient de s’y introduire. C’est à ces fins que les Hittites ont perfectionné au fil des siècles leurs techniques de défense. Des passages étaient ainsi aménagés sous les maisons pour se réfugier dans les souterrains en cas d’attaque.
Se trouvaient au premier étage doté de niches pour entreposer le fourrage, des étables pour les animaux (souvent capturés par les ennemis s’ils s’introduisaient dans la cité). Les hommes se trouvaient dans les niveaux inférieurs (certaines cités pouvaient compter jusqu’à huit niveaux). Pour survivre, les habitants avaient recours à plusieurs sortes de puits : des puits pour stocker l’eau, des puits qui recevaient l’eau par des canalisations, mais également des puits d’aération. Ils disposaient également d’espaces creusés dans la roche pour y stocker leurs vivres, leur permettant de survivre à un siège de plusieurs mois.
Mais c’est dans un but défensif que les innovations sont les plus spectaculaires. Toutes n’avaient qu’un seul but : empêcher la progression de l’ennemi dans la cité. Les couloirs en pente étaient très étroits, rendant difficile la progression de plusieurs individus et les empêchant d’utiliser leurs armes de manière optimale (ces couloirs contribuaient également à l’aération, leur inclinaison favorisant la circulation de l’air). Venaient ensuite les meules, des pierres circulaires de plusieurs tonnes destinées à fermer l’accès aux couloirs. S’il suffisait de seulement quelques hommes pour les déplacer de l’intérieur en les faisant rouler, il était cependant impossible pour les envahisseurs de les déplacer de l’extérieur.
On peut également voir dans certaines cités souterraines des trous situés dans la partie supérieure des couloirs. Ils étaient destinés à laisser passer des lances pour transpercer les ennemis. Une autre tactique consistait également à faire pénétrer l‘ennemi dans une grande salle et à en refermer les issues à l’aide de meules. Enfin, ce sont de véritables systèmes de communication qui ont été conçus (puis perfectionnés par les Chrétiens lorsqu’ils occupèrent à leur tour ces villes souterraines) : des conduits amplifiant et répercutant les voix. Plus le danger se faisait grand, plus l’on descendait sous terre. Malgré ce système de défense, les Hittites, habitants présumés des villes souterraines, disparurent. Ils laissèrent la place à un autre peuple qui a su tirer partie de ces cités, les premiers Chrétiens.
La Cappadoce, un refuge pour les premiers Chrétiens
Arabes. C’est tout d’abord dans la ville d’Oskovak que le christianisme prend racine. Les Chrétiens ont non seulement offert une deuxième vie à ces villes souterraines mais ils les ont aussi perfectionnées. Une de ces améliorations portait sur l’hygiène. Car ces villes auraient pu se transformer en piège mortel pour ses habitants en cas d’épidémies. Pour s’en prévenir, les Chrétiens couvraient les murs de chaux dans les cuisines, hôpitaux ou tout autre lieu où l’hygiène était essentielle. Certaines pièces dans les cités devinrent aussi des lieux de cultes. On peut ainsi voir dans la cité de Derinkuyu, une église identifiable grâce aux croix gravées sur les parois, ainsi que des baptistaires.
En 330 le christianisme devient religion officielle de l’empire romain sous l’empereur Constantin. Les Chrétiens n’ont donc pour l’heure plus de raisons de se cacher et vont rapidement faire de la Cappadoce un des foyers de la propagation de la doctrine chrétienne.
Ma visite se poursuit au musée en plein air de Gorëme qui illustre parfaitement cette nouvelle page du christianisme. Ce site exceptionnel, aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, abrite des monastères, des églises de l‘art primitif puis iconique. En y pénétrant, se dressaient devant moi, baignant dans la lumière dorée du soleil couchant, un couvent creusé dans un immense rocher (cf. première photo en haut). Gorëme doit son origine à Saint Basile, un homme de foi inquiet du développement du matérialisme chrétien qui décida de créer un monastère pour revenir aux premières valeurs du christianisme. Des communautés de moines y vivront jusqu’à la conquête de la région par les Ottomans.
Entre 736 et 843 l’empire byzantin interdit toute représentation iconographique afin de renforcer la dimension spirituelle de la foi et le rapport avec Dieu.
De nombreuses églises rupestres font aussi toute la splendeur de ce site. Si certaines sont richement décorées des épisodes de la bible afin d’enseigner la doctrine de l’Eglise à ceux qui ne savaient pas lire, d’autres églises sont agrémentées de simples dessins représentant croix, vignes, poissons ou arabesques de couleur rouge. C’est le cas de l’église Saint-Basile. Bâtie au XIème siècle, elle présente des fresques très élémentaires faites de peinture rouge. Ces églises rupestres sont un témoignage de l’art byzantin de la période iconoclaste (période entre 736 et 843 où l’empire byzantin interdit toute représentation iconographique afin de renforcer la dimension spirituelle de la foi et le rapport avec Dieu. Il fit détruire toute représentation du Christ, des Saints ou des apôtres). Depuis mon arrivée en Cappadoce, ces curieux dessins avaient déjà attiré mon attention au cours de mes ballades dans les vallées de la région où se trouvent quelques églises troglodytes. Ces formes en peinture rouge grossièrement dessinées m’avaient tout d’abord fait penser à des dessins d’enfants alors qu’il ne s’agissait ni plus ni moins de peintures de l’art primitif chrétien !
La Cappadoce sur la route de la soie
Enfin, j’achève mon voyage en Cappadoce avec la visite d’un caravansérail Seldjoukide datant du XIIIème siècle. Situé à 5 kilomètres d’Avanos à Sari Hani, ce caravansérail construit en 1238 a été entièrement restauré à tel point qu’il est difficile de voir que cet édifice date de plus de huit siècles. Il accueille aujourd’hui des spectacles de Derviches Tourneurs, ces danseurs qui cherchent à communier avec dieu en tournant sur eux-mêmes jusqu’à entrer en transe. Un caravansérail ou un Han, était un gite d’étape fortifié pour protéger les marchands sur la route de la soie, un des axes commerciaux les plus importants de l’époque. Les routes caravanières traversant le pays étaient basées sur le tracé du réseau romano-byzantins. Mais ces routes étaient aussi extrêmement dangereuses, en particulier à partir du XIIIème où l’empire romain d’Orient est affaibli par la quatrième croisade. Les caravanes acheminaient toutes sortes de richesses et de marchandises attisant la convoitise des bandits. Les Seldjoukides (dynastie turque du XIe au XIIIème siècle) entamèrent la construction de nombreux caravansérails au XIIIème afin de favoriser les échanges commerciaux. La Cappadoce, point stratégique sur la route de la soie, disposait ainsi de caravansérails tous les 30 ou 40 kilomètres, soit la distance parcourue par un chameau en un jour. Ils offraient ainsi tout le nécessaire aux voyageurs ; appartements, hamman, salles à manger, mosquée, salles réservées pour les transactions et échanges commerciaux, étables pour les chameaux, bains etc.
Les Seldjoukides entamèrent la construction de nombreux caravansérails au XIIIème afin de favoriser les échanges commerciaux.
Ici s’achève mon voyage en Cappadoce, dans un ancien caravansérail où des derviches tourneurs nous offrent une belle démonstration de leur art et de leur foi à travers une danse aussi gracieuse qu’envoûtante. Je repars le lendemain à l’aube, direction Izmir à la découverte de la côté égéenne, mais non sans manquer un dernier spectacle, celui de plusieurs dizaines de montgolfières multicolores s’élevant dans les airs dans la lumière du soleil levant, pour admirer depuis le ciel toute la beauté du paysage de Cappadoce.
Très bon article Cela a été très intéressant pour moi.