Pendant des siècles Istanbul a accumulé bien des richesses. Pour en appréhender une partie, une visite du quartier de Sultanahamet s’impose. Zone sûrement la plus touristique de la ville, ce quartier peut donner à son visiteur une certaine impression d’artificialité. Mais Sultanahmet, cœur antique de la ville, est incontournable et frappe par la beauté et la richesse des monuments qu’il abrite. Notamment son ancien hippodrome romain, l’église Sainte-Sophie, la Mosquée bleue, le palais de Topkapi, tous témoignant des trois grands empires qu’a connu Istanbul.
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Sainte-Sophie, l’église de la Sainte-Sagesse devenue mosquée
Hagia Sophia, église de la Sainte-Sagesse, est un monument incontournable de l’histoire d’Istanbul. Elle fut le témoin de l’avènement du christianisme, de la chute de l’empire byzantin et de la naissance d’un nouvel empire, celui des Ottomans. Elle connut de nombreuses évolutions. La première basilique fut construite à l’initiative de l’empereur Constantin en 330. Proclamé empereur romain en 306, celui-ci fit du christianisme la religion de l’Empire. L’expansion vers l’est ayant eu pour conséquence de mettre Rome dans une position excentrée, il décida de faire de Byzance idéalement située sur le plan stratégique, sa capitale en 324.
La première basilique fut construite à l’initiative de l’empereur Constantin en 330
L’histoire de Sainte-Sophie n’est pas de tout repos. Elle subit les foudres de la colère du peuple romain en 404, suite à la déposition et l’exil de l’archevêque de Constantinople Saint Jean Chrysostome, conséquence de son affrontement avec Théophile, patriarche d’Alexandrie, accusé publiquement de tyrannie et d’injustice par un groupe de moines égyptiens. Ce bras de fer se retourna contre l’archevêque. La basilique fut incendiée. Reconstruite en 415 par l’empereur Théodose II, Sainte-Sophie fut de nouveau détruite en 532 pendant la sédition Nika, révolte populaire, menaçant de tourner à la guerre civile, opposant riches marchands et petits artisans brimés par ces premiers. Le conflit finit par se retourner contre l’empereur lui-même allant jusqu’à menacer de lui faire perdre son trône. Quelques vestiges de cette seconde basilique ont pu être mis au jour et sont encore visibles dans l’enceinte de Sainte-Sophie.
La basilique est reconstruite par l’empereur et ne connaîtra plus d’autres aléas jusqu’à la prise de Constantinople en 1453. Lorsque Mehmet II le conquérant s’empare de la ville et pénètre dans la cité conquise, il se rend à Sainte-Sophie. Mais malgré toute la splendeur de son architecture, c’est une église avec des dépendances en ruines et des fresques abîmées que le sultan trouve. Mehmet II fait venir un imam pour y proclamer le crédo musulman. La basilique est rénovée et transformée en mosquée.
Minarets, fontaines, mausolées sont ajoutés et les mosaïques chrétiennes recouvertes. Des immenses disques de bois, les plus grands du monde musulman, s’accrochent désormais aux murs de l’ancienne basilique. Ces panneaux portent les noms d’Allah, Mahomet, des quatre premiers califes et des martyres Hassan et Hussein, petits fils du prophète. Sainte-Sophie deviendra ensuite un musée sous l’impulsion de Mustafa Kemal en 1935. Avec ses peintures chrétiennes mises au jour, elle offre aujourd’hui un curieux mélange des genres, alliant héritage iconographique des mosaïques chrétiennes et art musulman.
L’hippodrome romain, vestige de Constantinople
A quelques mètres de Sainte-Sophie et de la Mosquée bleue, se trouvent les vestiges de l’hippodrome romain. Cet hippodrome est construit en 203 par l’empereur Septime Sévère. En 324, Constantin décide de l’agrandir pour le faire rivaliser avec le cirque Maxime de Rome. L’édifice pouvait alors accueillir jusqu’à 100 000 spectateurs. Des monuments venant des quatre coins de l’empire romain représentant toute la puissance de l’Empire, ornent le centre de la piste.
Trois monuments sont aujourd’hui conservés, la colonne serpentine ramenée de Delphes (479 avant J.C.), la colonne de « Constantin Porphyrogénète », nom de l’empereur qui fit restaurer la colonne au Xème siècle et l’obélisque du temple de Karnak en Egypte dressé par le pharaon Touthmôsis III (1504-1450 avant J.C.), ramené d’Egypte sur ordre de Constantin. Brisé, il ne représente plus qu’un tiers de sa taille d’origine. Son socle date du IVème siècle, il représente Théodose Ier et sa famille assistant à une course de char. On voit sur l’une des faces, l’empereur remettant la couronne au vainqueur.
Mais s’il est un lieu de divertissement, c’est aussi l’endroit où s’exprime le mécontentement du peuple en présence de l’empereur. C’est ce qui se produit en 532 avec la sédition de Nika qui fera entre 30 000 et 50 000 victimes. Selon la légende, les corps auraient été enterrés sous l’hippodrome. L’hippodrome, héritage de la Grèce antique et des croyances païennes, va peu à peu tomber en désuétude dans cette ville de plus en plus marquée par le christianisme. Puis en 1204, lors du sac de la ville, les croisés détruisent l’hippodrome sur leur passage. Ils s’emparent notamment d’une statue de bronze du Vème siècle représentant quatre chevaux, et la ramènent à Venise. Elle orne aujourd’hui la basilique Saint-Marc. Lorsque les Ottomans s’emparent de la ville, l’hippodrome n’est plus qu’un champ de ruine. On peut cependant encore en apercevoir une partie.
L’hippodrome, héritage de la Grèce antique et des croyances païennes, va peu à peu tomber en désuétude dans cette ville de plus en plus marquée par le christianisme.
Le mur sud est la seule partie de l’édifice encore visible. Ce mur imposant qui a traversé les siècles laisse imaginer toute la splendeur passée de l’hippodrome et le génie des Romains. Pour y accéder, il faut descendre la rue située en contrebas de l’hippodrome en partant de la colonne de Constantin, sur une trentaine de mètres.
La citerne basilique, trésor byzantin enfoui sous Sultanahmet
Le quartier de Sultanahmet offre bien d’autres surprises. Comment pourrait-on soupçonner qu’à seulement quelques mètres sous nos pieds se trouve une immense citerne romaine ayant servi à alimenter en eau des générations de familles impériales ? Cette citerne nommée « citerne basilique » en raison de sa taille imposante et des immenses colonnes constituant ce réservoir d’eau, est aussi appelée par les Turcs « le palais englouti ». Ce réservoir est construit par l’empereur Justinien en 532, dont le règne marque la fin du paganisme et l’essor du christianisme. Elle est composée de 336 colonnes de marbre de 9 mètres de hauteur, disposées environ tous les 5 mètres. Elles provenaient d’anciens temples dédiés aux divinités gréco-romaines. La citerne dispose d’une surface de 140 mètres de longueur sur 70 mètres de largeur. Elle aurait servi à alimenter en eau le palais de l’empereur lui-même ! Les citernes jouaient un rôle essentiel pour la survie de la ville en cas de siège. Les assaillants pouvaient en effet couper l’arrivée de l’eau circulant grâce aux aqueducs. L’eau contenue dans ces gigantesques réservoirs permettait ainsi aux habitants de tenir pendant des mois. Lorsque les Ottomans s’emparent de la ville en 1453, ils n’ont pas connaissance de l’existence de ces citernes et elles ne seront découvertes que bien plus tard. Mais les Ottomans s’occuperont peu de leur maintenance, se sentant moins menacés que les Romains par d’éventuelles attaques, et surtout, leur culture privilégiant l’eau courante jugée plus saine.
Le palais de Topkapi, témoin de la puissance de l’empire Ottoman
12 ans après la conquête de Constantinople, Mehmet II le Conquérant décida d’ériger un nouveau palais et choisit comme emplacement la pointe du Sérail située entre la mer de Marmara et la Corne d’Or, sur les ruines d’une ancienne acropole byzantine. La construction débute en 1465 et s’achève en 1478. C’est l’ancienne porte fortifiée située sur la pointe, Topkapi, qui lui donnera son nom. Ce palais restera la demeure des sultans jusqu’au XIXème où le sultan Abdülmecid Ier décide de déplacer sa cour vers le palais de Dolmabahçe. Le palais sera ensuite transformé en musée sous l’impulsion d’Atatürk (surnom de Mustafa Kemal). De nombreuses pièces abritent aujourd’hui des trésors et joyaux de l’Empire ottoman ainsi que de nombreuses reliques musulmanes du prophète Mahomet et d’Abraham exposées dans la salle des reliques. Le palais subira plusieurs changements notamment avec les deux incendies de 1665 et 1862 qui détruisirent une partie des bâtiments d’origine. Ce palais frappe ainsi par la diversité de ses styles rappelant la volonté de chaque Sultan de marquer son passage par diverses constructions et restaurations.
A la tête de ce système se trouve non pas le sultan mais la mère du sultan, la Valide Sultane qui détenait le pouvoir décisionnel au sein du Harem.
Difficile de ne pas éprouver de curiosité pour le troublant harem. Ce harem gardé par les fameux eunuques noirs, pouvait accueillir plusieurs centaines de femmes esclaves. La vie au harem répondait à une hiérarchie et des règles très précises à respecter. Celle qui obtenait les faveurs du sultan pouvait alors prétendre à grimper « l’échelle sociale ». A la tête de ce système se trouve non pas le sultan mais la mère du sultan, la Valide Sultane qui détenait le pouvoir décisionnel au sein du Harem. Venaient ensuite les favorites du Sultan et potentielles Valide Sultanes si elles mettaient au monde un garçon. Si une des favorites du Sultan accouchait d’une fille, elle se voyait alors en possession d’un petit appartement. Parmi elles, une aura définitivement laissé sa trace dans l’histoire, Roxalena dite « la Joyeuse », favorite et ensuite épouse du sultan Soliman Le Magnifique.
Une autre pièce du palais attire l’attention lors de la visite du palais. Le Divan, salle du conseil impérial où se réunissaient notamment, quatre fois par semaine, le grand vizir, les vizirs, le chancelier, clercs et scribes pour se consacrer aux affaires de l’état en cours. Si les sultans avaient pour habitude d’assister aux séances du conseil, cette tradition fut progressivement abandonnée à partir de Mehmet II. Une étrange grille dorée située en hauteur attire notre attention lorsque l’on pénètre dans la salle. Cette grille permettait au sultan de se rendre secrètement au divan et d’écouter les séances ou observer l’accueil fait à un ambassadeur. Le grand vizir se sachant jamais quand s’y trouvait le sultan, devait alors veiller à se montrer irréprochable dans sa conduite des affaires en toute circonstance.
Süleyman, joyau de l’art musulman
Autre joyaux d’Istanbul, la mosquée de Soliman le Magnifique témoigne de toute la splendeur de l’empire ottoman et son apogée sous son règne. Elle fut édifiée en 1550 et 1556, par l’architecte Sinan, favori de Soliman. Sur les ordres du sultan, il construisit en un demi-siècle, plus de 300 édifices. Süleyman sera l’achèvement de la quête spirituelle de Soliman qui souhaitait également en faire un monument qui portera son nom à travers les siècles. Soliman et Sinan se mirent d’accord sur une décoration très simple et épurée. Toute la beauté de l’édifice se concentre ainsi dans l’architecture, faisant la particularité de la mosquée. Elle donnera naissance à l’architecture de toutes les autres mosquées, dont la magnifique mosquée bleue édifiée par Ahmet 1er en 1609 créant la polémique avec ses 6 minarets faisant concurrence à la Mecque, et devant son nom aux tuiles bleues originaires d’Iznik ornant son intérieur. Süleyman sera également le lieu du repos éternel de Sinan, de Roxalena et enfin de Soliman lui-même qui viendra plus tard rejoindre son épouse.
Malgré le sentiment d’avoir à peine effleuré la surface d’Istanbul, mon voyage dans le temps se poursuit vers la Cappadoce, à la rencontre des Hittites et des premiers chrétiens qui ont peuplé cette terre.
Si vous souhaitez en savoir plus sur l’histoire d’Istanbul, je vous conseille de lire :
« Istanbul et la civilisation ottomane » de Bernard Lewis (collection Texto)
« Les Turcs, de la splendeur ottomane au défi de l’Europe », Les collections de l’histoire, n°45, octobre 2009
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