Je vous propose de partir à la découverte d’une période clé de l’histoire de la Bretagne, celle de son rattachement au royaume de France après bien des luttes pour le maintien de son autonomie. On ne peut bien sûr pas parler de ces événements sans évoquer la duchesse Anne de Bretagne, si chère au coeur des Bretons. Des guerres pour l’indépendance jusqu’à la signature du traité d’Union du duché de Bretagne au royaume de France, la Bretagne nous livre une histoire passionnante. Un passé qui a été remis sur le devant de la scène en 2014 avec le 500ème anniversaire du décès d’Anne de Bretagne. Je vous invite à découvrir cette histoire à travers deux lieux emblématiques, les villes de Rennes et de Vannes.
La Bretagne et le royaume de France : des relations conflictuelles
Les Bretons sont les descendants d’une population celte provenant de l’île de Grande-Bretagne. Ce peuple fut contraint à la migration suite aux invasions des Pictes d’Ecosse, des Scots d’Irlande et des Saxons entre 450 et 650. Au Xème siècle, la Bretagne s’organise autour de neuf évêchés : Rennes, Vannes, Nantes, Quimper, Saint-Pol-de-Léon, Alet, Dol, Tréguier et Saint-Brieuc. En 990, ces neuf évêchés furent officiellement mentionnés dans un acte administratif. C’est aussi les premiers temps de l’émancipation face aux rois carolingiens.
Les relations avec les Carolingiens se détériorèrent peu à peu. Sous Pépin le Bref, Charlemagne et Louis le Pieux, plusieurs tentatives de conquêtes eurent lieu et se heurtèrent à la résistance des Bretons. Au VIIIème siècle, la marche de Bretagne, territoire frontalier faisant office de zone tampon, fut crée par Pépin le Bref afin de protéger la Bretagne des invasions. Elle regroupait les comtés de Rennes, Nantes et de Vannes. Mais devant la difficulté à contrôler ce territoire, le roi carolingien Louis le Pieux décida en 831 de désigner Nominoé (issu d’un lignage breton mais de culture franque) comme « envoyé de l’empereur en Bretagne ». Il était également comte de Vannes. Sa mission : permettre l’intégration progressive de la Bretagne à l’empire. A la mort de Louis le Pieux les velléités d’indépendance reprirent. S’ensuivra une période où les rois d’Angleterre et les rois de France (Capétiens), chercheront à imposer successivement leur tutelle à la Bretagne.
En 1166, Henri II Plantagenêt devint ainsi maître du duché. Mais en 1213, le roi de France Philippe Auguste profita de l’hostilité des Bretons à l’égard des Plantagenêts (alors représentés par Jean sans Terre) pour sceller le mariage d’Alix, petite-fille de Conan IV de Bretagne avec un Capétien. Le pouvoir ducal se renforça. Pendant la guerre de Cent Ans opposant les royaumes de France et d’Angleterre, la Bretagne devint l’un des principaux champs de bataille. Sous le roi Charles V la pression se fit de plus en plus forte. Ce dernier tenta d’annexer le duché de Bretagne, une opération qui se solda par un échec. Progressivement les ducs de Bretagne rejetèrent l’autorité de la couronne française. Les ducs s’employèrent alors à développer des structures de gouvernement visant à les rendre indépendants du royaume de France. A noter que cet esprit d’indépendance ne concerne pas uniquement les ducs de Bretagne. Au XIVème et XVème siècle, le royaume de France fut confronté à la révolte des ducs de Bourgogne, de Berry et de Provence.
Louis XI connu pour sa politique rusée, parvint à se débarrasser des Anglais et travailla à la réintégration de la Bretagne. Il se heurta cependant au duc de Bretagne François II bien décidé à ne pas se laisser faire. Ainsi, François II refusa d’assister au sacre de Louis XI en 1460 et de lui prêter hommage. Le duc de Bretagne chercha également à sceller des alliances avec les maisons étrangères : l’Angleterre mais aussi l’Ecosse, le Danemark, le Portugal, etc. François II participa à plusieurs coalitions contre le pouvoir royal. Il s’allia ainsi à Charles le Téméraire (duc de Bourgogne) et au duc de Guyenne lors d’une guerre contre le roi de France en 1471-1472. En 1480 Louis XI s’empara indirectement de la Bretagne en achetant les droits à l’héritage sur le duché de Bretagne.
Sous Charles VIII, fils de Louis XI, François II refusa une nouvelle fois de prêter serment de fidélité au roi de France. Le duc de Bretagne créa par ailleurs en 1485 un parlement à Vannes marquant l’indépendance judiciaire de la Bretagne vis-à-vis du parlement de Paris. La rupture sembla bel et bien scellée. Pourtant, de 1487 à 1491, les quatre ans de campagnes militaires menées par Charles VIII finirent par mettre fin aux espoirs d’indépendance. Cette guerre se soldera notamment par la défaite en 1488 de la Bretagne à Saint-Aubin-du-Cormier. L’armée du roi de France occupa la majeure partie du territoire à l’exception de Rennes et de Nantes, villes fortifiées. Le traité du Verger marqua la défaite de la Bretagne.
Le rôle clé d’Anne de Bretagne dans l’histoire du duché
Le duc François II de Bretagne mourut peu de temps après la défaite de ses armées. Il avait pour seule héritière la célèbre Anne de Bretagne. Née à Nantes en 1477, Anne n’avait que 12 ans lors du décès de son père. Elle se retrouva alors à la tête d’un duché en très mauvaise posture. Elle se réfugia à Rennes où elle fut couronnée duchesse de Bretagne dans la cathédrale Saint-Pierre de Rennes le 10 février 1489. Face à la menace française, la jeune duchesse fut mariée par procuration à Maximilien de Habsbourg le 19 décembre 1490 dans l’espoir d’obtenir de l’aide du Saint-Empire romain germanique. Mais les Habsbourg étaient alors peu enclins à s’opposer à la puissante monarchie française. Acculée, Anne de Bretagne fut contrainte d’épouser le roi de France Charles VIII. Ce fut la première étape vers l’unification des deux royaumes.
Déjà engagée auprès de Maximilien de Habsbourg, une procédure d’annulation fut lancée auprès du pape pour vice de forme. Anne épousa Charles VIII le 6 décembre 1491. Le contrat de mariage stipulait la main mise de Charles VIII sur la Bretagne. Pour Anne, la situation n’était alors pas simple. Son pouvoir était assez limité. Elle se heurta de plus à l’autorité d’Anne de Beaujeu, la sœur aînée de Charles VIII qui assurait la régence lors des absences de son frère. Anne se vit ainsi confinée au rôle de reine procréatrice d’héritiers. Or si les grossesses se succédèrent, aucun de ses enfants ne survécut. C’est alors que survint un autre drame. Le 7 avril 1498, alors qu’il allait assister à une partie de jeu de paume, Charles VIII mourut après s’être cogné la tête contre le linteau d’une porte au château d’Amboise, le choc ayant sûrement entraîné une commotion cérébrale.
Un nouveau contrat de mariage fut négocié avec le nouveau roi de France, Louis XII. Duc d’Orléans, il était également le beau-fils de Louis XI. Il fit annuler son union avec son épouse auprès du pape Alexandre VI Borgia et il put épouser Anne de Bretagne. Il semblerait que le mariage ait été plus heureux que le précédent, les époux semblant s’être sincèrement attachés l’un à l’autre. Anne obtint de rester maîtresse de son duché. La cérémonie de mariage fut d’ailleurs célébrée à Nantes le 8 janvier 1499. Elle fit ainsi rétablir la chancellerie, restaurer le conseil ducal et fit émettre de nouvelles séries de pièces de monnaie portant ses armoiries. Mécène, pieuse, elle constitua autour d’elle une cour de dames et de demoiselles et fit régner l’ordre moral à la cour. Un grand désaccord vint cependant perturber l’entente conjugale. Il portait sur le mariage de leur fille Claude. Alors qu’Anne aurait voulu la destiner au futur empereur Charles Quint, Louis XII décida de la marier à François d’Angoulême, futur François Ier. Furieuse, Anne décida de partir parcourir la Bretagne, pays qu’elle connaissait finalement peu, jusqu’à ce qu’elle reçoive l’ordre de rentrer. Les Bretons lui réservèrent un accueil triomphal.
Le 9 janvier 1514, Anne de Bretagne s’éteignit, emportant avec elle l’autonomie de la Bretagne. Parmi les cinq enfants qu’elle eut avec Louis XII, seules deux filles survivront. Sa mort signe le rattachement définitif de la Bretagne à la France. Il sera entériné par un édit en 1532.
Rennes et la duchesse Anne de Bretagne
Cette histoire mouvementée a laissé des traces dans la ville de Rennes. Face aux dangers omniprésents que constituèrent les royaumes de France et d’Angleterre, la Bretagne a dû se défendre. Cela explique les nombreuses fortifications dont Rennes était dotée. Au XVème siècle, les fortifications de la ville furent renforcées. On peut encore voir aujourd’hui les vestiges de ces remparts dans la « rue des fossés ». Lors du rattachement de la Bretagne au royaume de France, certains de ces remparts furent détruits. On conserva néanmoins la porte Mordelaise où le futur duc de Bretagne prêtait serment et faisait son entrée symbolique dans la ville avant d’y être couronné. Avant son couronnement, Anne de Bretagne y fit d’ailleurs son entrée. Elle y jura de défendre les « libertés du peuple de Bretagne ».
C’est à la cathédrale Saint-Pierre que fut couronnée Anne de Bretagne en 1489. Toutefois, la cathédrale a bien changé depuis. Trois églises ont en réalité été bâties sur le même emplacement. Une première au VIème siècle qui fut remplacée par une église gothique du XIIème siècle. En 1490, un an après le couronnement d’Anne de Bretagne, la tour et la façade occidentale s’effondrèrent. Une longue reconstruction fut entreprise. Débutée au XVIème siècle, elle se poursuivra jusqu’au XVIIème siècle. Le reste de l’édifice fut construit à partir de 1784 dans le style néo-classique.
Un autre endroit de Rennes a gardé en mémoire le passage d’Anne de Bretagne réfugiée à Rennes en 1489 lors du conflit qui opposa la Bretagne au royaume de France. Il s’agit de la rue des Dames qui débouche sur la cathédrale Saint-Pierre. Cette rue aurait été nommée ainsi en souvenir du séjour des dames d’honneurs de la duchesse. Cette rue est également caractérisée par la présence de nombreux hôtels particuliers bâtis entre le XVIème et XVIIème siècle.
Anne est devenue le symbole de la lutte pour l’indépendance de la Bretagne. Un événement survenu en 1932 en témoigne. A la révolution française, la statue de Louis XIV abritée dans une niche de l’actuel hôtel de ville fut arrachée par les révolutionnaires. En 1911, on la remplaça par une statue d’Anne de Bretagne à genoux devant Charles VIII. Un symbole loin d’être apprécié par les Bretons. En 1932, la statue fut détruite par une charge explosive le jour même où devait être célébré à Vannes le quatrième centenaire de l’acte d’union de la Bretagne à la France signé en 1532. Depuis la niche est restée vide (cf. photo ci-dessous). Si Anne a sombré dans l’oubli pendant plusieurs siècles après sa mort, sa mémoire connait bel et bien une résurgence depuis le siècle dernier. En octobre 2014, la ville de Rennes a accueilli le cœur reliquaire d’Anne de Bretagne (transporté à Nantes à sa mort), à l’occasion du 500ème anniversaire de sa mort.
1532 : La Bretagne est intégrée au Royaume de France sous François Ier
La mort d’Anne de Bretagne en 1514 et le mariage de sa fille Claude la même année avec François d’Angoulême, signèrent la fin de l’indépendance de la Bretagne. François d’Angoulême, devenu le roi François Ier, était alors l’usufruitier de la Bretagne. Le rattachement se fera néanmoins en douceur. François 1er opéra une transition en nommant aux postes clés des personnalités qui lui étaient acquises. Lorsque François, le fils aîné du roi atteint sa majorité, le monarque décida d’officialiser le rattachement de la Bretagne.
Le 7 août 1532 fut signé à Vannes le traité d’Union du duché de Bretagne au royaume de France. Un édit fut promulgué à Nantes le 13 août 1532. Le 14 août, le dauphin François fut couronné duc de Bretagne sous le nom de François III. Le traité fut signé par les états de Bretagne (assemblée réunissant les hauts membres du clergé, des nobles et les délégués des 42 villes de Bretagne) à la condition que la Bretagne conserve ses anciens privilèges, à commencer par ses privilèges fiscaux. Par conséquent, aucune imposition ne devait être levée en Bretagne sans l’autorisation des états de Bretagne. Les juridictions bretonnes furent aussi conservées. Les Bretons devant être jugés en Bretagne, un parlement fut créé en 1554. Les séances étaient réparties entre Rennes et Nantes. Toutefois, en 1561 Rennes prit l’ascendant sur Nantes qui ne conserva que la chambre des comptes. Pour éviter que le parlement ne devienne le noyau de revendications indépendantistes, la moitié des conseillers qui y siégeaient devaient être étrangers à la province. Le territoire conserva un statut d’autonomie qui fut abrogé à la révolution française.
Vannes et la signature du traité d’Union de Bretagne à la France
Vannes comporte aussi quelques traces de ces événements historiques. Impossible de visiter cette ville portuaire sans admirer le château de l’Hermine, ses remparts et ses jardins à la française. Ancien château fort et résidence ducale, il fut construit au XIVème siècle. François Ier y séjourna lors de la signature de l’Union du duché de Bretagne au royaume de France en août 1532. Malheureusement pour notre château, le rattachement de la Bretagne à la France eut pour conséquence de le laisser à l’abandon jusqu’à ce que Louis XIV en fasse don à la ville de Vannes en 1697.
La porte Saint-Vincent de Vannes rappelle également le passage de François Ier dans la ville. Cette porte fut élevée au XVIIème siècle. Restaurée en 1747, elle fut classée monument historique en 1928. On y voit dans la niche supérieure la statue de Saint-Vincent-Ferrier (prêtre dominicain célèbre pour les prêches, ses reliques se trouvent à la cathédrale Saint-Pierre de Vannes), le saint-patron de la ville qui regarde en direction de la mer. Depuis 1891, figure en dessous du saint les armes de la ville de Vannes. On y voit l’hermine cravatée, symbole de la Bretagne, une couronne de tour crénelée rappelant que Vannes est une ville fortifiée. Les deux symboles sont entourés de deux lévriers dressés sur leurs pattes. Ils symbolisent le présent qu’offrirent les habitants de Vannes à François Ier lors de son passage à Vannes en août 1532. Cette porte au décor baroque conduit aujourd’hui au cœur de l’adorable ville de Vannes où se succèdent des maisons typiques à colombage et à encorbellement.
Pour en savoir plus je vous conseille de lire :
« Au temps de l’indépendance« , Jean Kerhervé, Dossier spécial Bretagne, Historia n° 740, août 2008
« Trois mariages et pas un seul héritier« , Laurent Vissière, Dossier spécial Bretagne, Historia n° 740, août 2008
« Une province française et prospère« , Cédric Michon, Dossier spécial Bretagne, Historia n° 740, août 2008
« Ce Jour-là – 6 décembre 1491 Anne de Bretagne épouse Charles VIII« , Henri Pigaillem, Historia n°792, décembre 2012
« La Bretagne ducale » – La fin du Moyen-Âge », Yves Coativy, Les Universels Gisserot, 1999
« L’événement : Anne de Bretagne au coeur de Rennes« , Ouestfrance.fr, 1er octobre 2014
donc, le François est duc avant d’être roi.
Donc c’est le rattachement de la France à la Bretagne et pas l’inverse. 😉
C’est en effet une manière de voir les choses 😉
Merci pour votre commentaire !
Merci pour cette mine d’informations précieuses.
Je suis parisien et je découvre Vannes, une ville splendide et très agréable à vivre
Merci pour cet agréable commentaire! Je suis heureuse que cette ville riche en histoire vous plaise.
A bientôt! Jessica
Petite confusion chez Prunier : fils aîné de Claude et François 1er, celui que l’on appelle aussi François de France est devenu François III de Bretagne, François II étant son arrière grand-père. Il n’a jamais été roi, étant mort prématurément à l’âge de 18 ans. C’est son frère cadet Henri, qui prendra sa suite et sera le dernier Duc de Bretagne puisque quant il deviendra Henri II à la mort de François 1er, la Bretagne sera directement rattachée au royaume.
Merci pour votre article, Jessica