Tumulus de Birka, Suède

Les Vikings de Birka, un peuple de marchands

Des milliers de petites collines recouvertes d’herbes folles peuplent l’ile de Borkjö, près de Stockholm en Suède. Balayées par les vents marins, cela fait près de mille ans qu’elles font tranquillement face à la mer. Il y a bien longtemps que les Knörrs des Vikings ont laissé place aux bateaux à moteur acheminant les visiteurs vers l’île. Ces monticules sont en réalité les tombes où repose le peuple qui vécut dans la ville de Birka pendant l’ère viking. Cette ville était l’un des plus importants comptoirs commerciaux de Scandinavie. Car si les Vikings sont connus pour leurs raids violents semant la terreur dans toute l’Europe du IXème siècle, on a tendance à oublier qu’ils étaient aussi un peuple de commerçants. Que nous apprend donc Birka sur cet aspect de l’ère Viking? Que reste-t-il de cette ville? Quelle est l’histoire de Birka?

Qui était le peuple Viking?

Les Vikings ont laissé peu de traces écrites derrière eux. Néanmoins, les témoignages des contemporains et les fouilles archéologiques de Birka permettent aux historiens de restituer le passé des Vikings et leur mode de vie. Ce que nous appelons aujourd’hui les Vikings étaient des hommes scandinaves dits “libres” par opposition aux esclaves qui étaient nombreux dans les sociétés vikings. Ces hommes libres travaillaient les terres de leurs fermes, pêchaient, chassaient, naviguaient.

Il arrivait à ces fermiers de partir en expédition. C’est d’ailleurs là que réside l’origine du mot “viking” puisqu’il désigne le fait de partir en expédition (c’est l’une des explications étymologiques parmi d’autres). Equipées guerrières mais également marchandes où les biens étaient vendus ou échangés sur les marchés voisins ou dans les grands comptoirs commerciaux. Birka était l’un d’entre eux.

Trésor de l’ère Viking, Musée d’Histoire de Stockholm

Birka, lieu de commerce international

La balance, un objet essentiel pour les marchands de Birka qui pesaient le métal pour effectuer leurs transactions.

Dès le VIIe siècle, les Frisons, venus de ce qui correspondrait aujourd’hui à l’Allemagne du Nord, se mirent à voyager vers le Nord pour y échanger de la verrerie, des poteries, du vin contre des fourrures, de l’ivoire de morses et de l’ambre. C’est ainsi que Birka, fondée vers 750, et d’autres comptoirs commerciaux comme Ribe au Danemark virent progressivement le jour.

Aux marchands se joignent les artisans, formant une communauté fourmillant d’activités. Fabrication de peignes, moulage de bronze, forgerons, artisans travaillant avec les fourrures et les textiles, charpentiers, tanneurs, cordonniers, autant d’activités qui allaient faire la richesse de Birka. La ville aurait ainsi pu accueillir près de 1500 habitants lors de son apogée. Cette taille contraste fortement avec les villages vikings environnants qui ne comptaient que quelques familles.

On échangeait toutes sortes de produits au grand marché de Birka. Du sel (si important à l’époque pour sécher la viande et le poisson), du miel, des métaux, des fourrures, des étoffes, du savon, de la cire pour faire les bougies, etc. La balance était un objet essentiel pour les marchands. Car contrairement à la plupart des peuples de l’époque, Birka ne produisait pas de pièces de monnaie. La pratique ne s’établit dans cette région de la Scandinavie qu’à partir de 975. Les habitants de Birka utilisaient ainsi des morceaux de métal, des bijoux, ou de l’argent qu’ils pesaient. Ces métaux pouvaient être des pièces de monnaie, mais leur valeur résidait purement dans le métal.

Le commerce de métal était très important. Le fer en particulier était extrait dans les régions du Nord de la Suède. La demande était très forte. On utilisait le fer pour fabriquer des boulons et des clous pour les bateaux, toute sorte d’instruments, des couteaux, des marteaux, des armes, etc.

Peigne sculpté dans le bois d’un cervidé. Très bien conservé, il fut découvert à Birka. Musée d’Histoire de Stockholm

La triche était courante

Le métier de marchand n’avait rien de simple à Birka. La triche était courante. De la contrefaçon à la vente d’objets en argent plaqué ou recouverts d’une simple dorure pour les faire passer pour des objets en or. Il y avait un besoin important de règles pour réguler ce commerce ce qui donna lieu à un code de loi appelé le “bjärköarätt”. Une partie d’adressait aux commerçants étrangers et une autre aux marchands locaux.

Les marchands voyageaient et il leur arrivait de rester longtemps loin de chez eux. Voyager était périlleux. Alors, pour plus de sûreté, les commerçants se déplaçaient en groupe. Ces hommes mettaient leur capital en commun et l’utilisaient pour couvrir leurs dépenses.

Pièces de monnaie retrouvées en Scandinavie. Musée d’Histoire de Stockholm.

Des échanges avec le Califat arabe

Statue de bronze de Bouddha, fabriquée au Ve ou début du VIe siècle, possiblement dans une région aujourd’hui située entre le Pakistan et l’Afghanistan. La statue est sans doute arrivée en Scandinavie par l’intermédiaire de plusieurs marchands le long de la route de la soie. Musée d’Histoire de Stockholm.

Des pièces arabes, des dirhams, ont aussi été retrouvées lors d’excavations à Birka. Cela montre l’étendue des échanges commerciaux. Les fourrures par exemple étaient très prisées par le Califat. Au début de l’ère de Birka jusqu’à la moitié du IXème siècle, les biens en provenance du Califat étaient importés le long de routes traversant la mer caspienne, le Caucase et le royaume des Khazars. Tandis que des caravanes venant de l’Est apportaient des pièces d’argent, des épices, de la soie, des perles, des cristaux de roche, etc.

Les nombreuses perles retrouvées lors des fouilles des tombes de Birka montrent la popularité de ces bijoux fabriqués sur les terres du Califat. Les archéologues ont même retrouvé les pions d’un jeu qui pourraient venir d’Egypte ainsi qu’un anneau en verre portant l’inscription “pour Allah” (découvert en 2015). Cela ne signifie pas forcément que les Vikings ont voyagé aussi loin mais cela indique qu’il existait bel et bien un commerce international.

Mais autant de richesse attire forcément la convoitise et Birka devait se protéger. Il y avait une forteresse pour prévenir des attaques. Palissades et tours défensives protégeaient la ville viking. Il y avait également une porte donnant sur la mer par laquelle les bateaux entraient.

Reconstitution du port de Birka, musée de Birka, Suède

Un marché d’esclaves

Les Vikings étaient ainsi des marchands d’objets mais aussi d’esclaves. Les hommes du Nord, les “Norrman” comme on les appelait à l’époque, ne trainent pas une sombre réputation pour rien. Car si le Viking est un marchand, il peut aussi être un guerrier pillant et capturant hommes, femmes et enfants lors de raids. La capture et la vente d’esclaves était ainsi une activité tristement lucrative. Ces esclaves étaient souvent d’origine slave. La pratique était d’ailleurs si courante qu’elle donna même naissance au mot “esclave” dont l’étymologie pourrait venir du mot “slave”.

La place des femmes dans la société Viking de Birka

Des balances et des poids ont été retrouvés dans des sépultures de femmes, montrant leur implication dans l’économie de la famille et possiblement dans le commerce.
Que faisaient-elles d’autre? L’activité textile était très importante à Birka. Or les textiles étaient le domaine des femmes. Ils nécessitaient de l’organisation et de la main d’œuvre.

En dehors de ces activités lucratives, les femmes libres vikings s’occupaient de la gestion du domaine familial (en particulier lorsque l’époux partait en expédition), dirigeaient les domestiques, et assuraient l’éducation des enfants. Elles devaient s’occuper de la nourriture du ménage, de la lessive, de la laiterie, des travaux des champs, du tissage, de la broderie, etc.

Broche dite « tortue ». Ces broches se portaient sur les tuniques en lin des femmes. Birka, musée d’Histoire de Stockholm.

La guerrière de Birka

En 1878, un squelette est mis au jour sur l’île de Birka. Il appartient à un individu d’une trentaine d’années. Enterré dans une chambre souterraine, le défunt semble avoir été inhumé avec tous les honneurs d’un grand guerrier: deux chevaux, dont l’un harnaché comme prêt à galoper dans l’au-delà, haches, épée, flèches, fragments d’os de baleines utilisés pour jouer un jeu très stratégique. Tout indique l’importance de cette personne qui était peut-être un chef militaire. Devant un tel équipement guerrier, le genre du défunt apparut comme une évidence aux archéologues de l’époque ; ce ne pouvait être qu’un homme !

Epée en fer retrouvée dans l’une des tombes de Birka

Pourtant, près d’un siècle plus tard, des examens révèlent que le pelvis semble être celui d’une femme. Une analyse ADN publiée en 2017 confirme que le “guerrier de Birka” était en réalité une femme. Découverte choc qui souleva de nombreuses controverses. Ses opposants arguent qu’il pourrait s’agir d’une erreur d’analyse ou que le squelette, victime de l’amateurisme des archéologues de l’époque, aurait en partie été perdu et qu’il ne s’agit pas des bons os. Mais une nouvelle analyse réalisée en 2019 par l’université d’Uppsala en Suède a de nouveau confirmé le sexe féminin de ce qui est à présent une défunte. Se pose alors la question ; était-ce vraiment une guerrière ou une femme ayant choisi de symboliquement s’associer à une guerrière?

Nous n’aurons probablement jamais la réponse définitive. Néanmoins, quelques indices alimentent la théorie d’une femme guerrière. L’analyse de ce qui reste du squelette a révélé une colonne vertébrale endommagée, peut-être par des années d’archerie et d’équitation.

Cette mystérieuse défunte ne serait d’ailleurs pas la seule femme enterrée avec un équipement guerrier. A Åsnes en Norvège, fut découverte la tombe d’une femme enterrée avec des flèches, une épée, une hache, une lance et un bouclier. La femme avait une blessure sur le front qui était légèrement enfoncé, une partie de l’os ayant été arraché. Pouvait-il s’agir de la trace d’un combat? Les cas sont rares, faut-il pour autant exclure que certaines femmes aient pu se battre et même avoir un rôle militaire important? Car à ce jour, il n’existe aucune inscription runique louant les femmes en tant que guerrières. En revanche, des témoignages contemporains attestent de la présence de femmes dans les expéditions guerrières. Si elles ne combattent pas, elles assurent l’intendance et exhortent leurs maris au combat.

Les tombes de Birka: croyances et pratiques mortuaires

Ce sont près de 3000 tombes qui peuplent le cimetière de Birka. Chaque petit monticule de terre abrite une sépulture. Et la plupart des sépultures accueillaient plusieurs personnes. Recouverts d’herbes folles, ils se confondent à présent dans le paysage. La ville de Birka regorgeait de vie et a pu compter près de 1500 habitants à son apogée, ce qui explique l’étendue de cette nécropole. Ces tombes sont de précieux témoignages des croyances religieuses et des pratiques funéraires des Vikings.

Un mobilier funéraire pour l’au-delà

Vase en verre à bec de type franc, Birka. Musée d’Histoire de Stockholm

La crémation des corps était chose courante chez les hommes du Nord. Mais l’âge des tertres succéda à l’âge de la crémation qui fut particulièrement long en Suède. Au cimetière de Birka, certains individus étaient ainsi incinérés alors que d’autres étaient enterrés. Les personnes les plus modestes étaient enterrées sous un simple amas de pierres ou parfois sous une grande pierre dépourvue d’inscriptions.

Pour les personnes de haut rang en revanche, les tombes étaient entourées de pierres alignées en forme de navire. Il en existe un extraordinaire exemplaire non pas à Birka mais à Vasterås situé à une centaine de kilomètres de Stockholm. La présence de bateaux parait logique pour ce peuple navigateur. Mais elle indique aussi la possible croyance d’un voyage en mer vers l’au-delà.

Les défunts étaient inhumés avec un mobilier funéraire. Armes, ustensiles de cuisine, balances pour les marchands, objets précieux, voire animaux domestiques. Le mobilier funéraire varie en fonction du statut social des défunts. On peut en déduire que ces objets étaient importants du vivant de la personne ou bien que ces objets seront utiles au défunt dans l’au-delà. De nombreuses miches de pain furent aussi retrouvées dans les tombes à crémation. Carbonisées, ces miches pouvaient avoir une valeur symbolique ou peut-être s’agissait-il de nourriture pour l’au-delà.

Car pour les Vikings, un défunt continue de vivre dans sa tombe. Il fallait d’ailleurs prendre garde à certains morts susceptibles de revenir hanter leurs proches, tout particulièrement ceux qui s’étaient montrés violents de leur vivant ou qui se trouvaient mécontents de leur sort.

Elégante corne à boire en verre retrouvée à Birka. Possiblement importée de l’empire Carolingien.
Pièces en verre d’un jeu de société, retrouvées dans une tombe de Birka. Musée d’Histoire de Stockholm.

Birka et la Chrétienté

S’il y a bien eu des tentatives d’évangélisation des Vikings de Birka, le Christianisme ne parvint pas à s’imposer à Birka. Car dans une société où chacun est libre de choisir un dieu, le Christianisme peine à convaincre. Par ailleurs, le Christianisme se montre intolérant envers les autres dieux si chers aux Vikings.

La croix chrétienne se porte surtout pour commercer avec les Chrétiens et si certains Vikings considèrent le Christ avec indulgence, il reste néanmoins une divinité parmi d’autres. Car ce que les Vikings portent autour du cou est principalement le marteau de Thor qui rivalise avec la croix. Porté en pendentif, le marteau de Thor servait d’amulette protectrice. Ce dieu nordique était l’un des plus populaires et était indissociable de son marteau magique. Ce pragmatisme des Vikings à concilier deux religions se retrouve d’ailleurs dans la découverte de moules de fondeurs qui permettaient à l’artisan de couler simultanément deux croix et un marteau.

En 829, un moine saxon nommé Anskar visita Birka et aurait été reçu par le roi Björn. Mais sa mission de conversion ne donne que de faibles résultats malgré deux ans de prêche. Une croix érigée en 1834 sur l’île de Birka lui rend hommage.

Marteau de Thor en pendentif. Musée d’Histoire de Stockholm

L’abandon de Birka

Il faudra attendre le XIe siècle pour que le Christianisme s’implante véritablement en Suède. A ce moment-là, Birka avait déjà cessé d’exister. Pour des raisons incertaines, Birka fut abandonnée vers la fin du Xème siècle. L’archéologie ne révèle pas de signes de pillage, d’incendie ou de violence. Il semblerait que les habitants de Birka l’aient simplement abandonnée.

Il est possible que Birka fut concurrencée par la ville de Sigtuna, située à une trentaine de kilomètres de Stockholm. Ville Chrétienne, Sigtuna est alors la nouvelle ville influente. Les habitants de Birka sont-ils partis pour aller rejoindre Sigtuna ? Quoi qu’il en soit, les deux siècles d’activité de Birka en ont fait un site archéologique riche en découvertes, un témoignage exceptionnel du mode de vie des hommes du Nord. Aujourd’hui, la ville viking revit de nouveau à travers son village reconstitué où s’activent forgerons et autres artisans pour le plus grand plaisir des visiteurs.

Reconstitution de bateaux de l’ère viking, Birka
Sources:

“Birka and Hovgården, a story that enriches time”, Bente Magnus and Ingrid Gustin

“Les Vikings”, Régis Boyer

“Les femmes vikings. Des femmes puissantes” Jóhanna Katrin Fridriksdóttir

“Des chrétiens bon païens” Historia, Anne Brenet

“Les vikings, vérité et légendes” Jean Renaud

“Territorio vikingo”, Manuel Velasco

“Den stora vikingakrigaren” documentaire suédois, Världens Historia

“Women warrior”, documentaire, National Geographic