La première fois que je vis le château de Neuschwanstein, je ne pus en apercevoir qu’une infime partie tant la brune qui recouvrait les montagnes était épaisse. Seule l’extrémité d’une tour dépassait de l’épais brouillard qui l’entourait. Ce temps s’accordait cependant très bien à l’image mystérieuse et fascinante de ce château. Le jour suivant, le brouillard s’était levé et je pus enfin en admirer toute la beauté bien que l’une des parois du château était couverte d’échafaudages, stigmates d’une construction difficile marquée par le manque de temps et d’argent. Mais cela ne gâche rien à la beauté de ce château dressé sur la montagne et semblant tout droit sorti d’un conte de fée.
Construit par le roi Louis II de Bavière à partir de 1869, le château de Neuschwanstein est aujourd’hui l’un des monuments les plus visités de Bavière et constitue une étape incontournable de la « Romantic road » de Bavière. Inspiré du château de Pierrefonds situé dans l’Oise près de Compiègne, il rend hommage à une époque médiévale et chevaleresque idéalisée par le roi Louis II. C’est un endroit fascinant tant par son esthétisme que par ses curiosités exprimant toute la complexité et la passion de son constructeur. Si Neuschwanstein fascine autant c’est aussi parce qu’il est lié au destin tragique de Louis II, roi déchu et décédé dans des circonstances étranges.
Louis II de Bavière, doux mélancolique ou visionnaire ?
Louis II de Bavière est né en 1845. Il est le fils de Maximilien roi de Bavière et appartient à la famille des Wittelback, une famille très ancienne de Bavière. Louis est un enfant rêveur mais élevé dans la plus stricte éducation. Il passa cependant des étés plus tranquilles au château de Hohenschwangau situé en contrebas du château de Neuschwanstein. Bâtit en 1835 par le futur Maximilien II sur les ruines du château fort de ses ancêtres, les seigneurs de Schwanstein des Wiltelsbach, Hohenschwangau est un monument à la gloire des ancêtres médiévaux de Maximilien de Bavière. A l’intérieur, des peintures murales témoignent de cet idéalisme médiéval. Plusieurs héros y sont représentés, à commencer par Lohengrin, le légendaire chevalier du cygne, personnage de la légende du roi Arthur qui va fortement marquer Louis II durant son enfance.
Le cygne – schwan – occupe une place essentielle dans la famille royale. Les armes des seigneurs de Hohenschwangau étaient ainsi ornées d’un cygne déployant ses ailes. Le château de Neuschwanstein signifie d’ailleurs « le nouveau rocher du cygne ».
Le 7 mars 1864, Maximilien II de Bavière décède, faisant de son fils Louis, tout juste âgé de 18 ans, le nouveau roi de Bavière. Louis II va faire une forte impression sur son peuple avec sa grande carrure et sa beauté angélique. Malheureusement, Louis II est peu préparé à la tâche qui l’attend. Le jeune roi tout juste initié aux affaires de l’Etat par son père quelques mois avant sa mort, n’a aucune expérience politique et est totalement coupé des réalités de son pays.
Or Louis II accède au trône dans un contexte politique tendu, marqué par la volonté hégémonique de la Prusse de Bismarck sur le reste de l’Allemagne. En 1866, la Prusse et l’Autriche se déclarent la guerre, l’occasion pour la Prusse d’unifier l’Allemagne autour d’elle et de neutraliser l’Autriche. Les deux pays entrent en conflit, l’Autriche est soutenue par la majorité des états allemands, dont la Bavière. Mais cette perspective belliqueuse n’enchante guère Louis II qui se retrouve malgré lui entrainé dans le conflit armé. Il prendra cependant soin de ne pas trop engager ses troupes dans le conflit, préservant ainsi la Bavière. Cette guerre s’achèvera par une victoire de la Prusse lors de la bataille de Sadowa. Le 22 août, la paix est conclue entre la Prusse et la Bavière. Suite à cela, Louis II semble penser que la meilleure manière de conserver l’indépendance de la Bavière ne sera pas de résister à la Prusse mais de créer un terrain d’entente avec elle et il se rapproche progressivement de Guillaume1er. Cette entente se concrétisera sous forme d’une alliance secrète de la Prusse et de la Bavière contre la France de Napoléon III et qui aura pour conséquence son engagement auprès de la Prusse lors de la guerre de 1870 contre la France.
Une passion dévorante pour Richard Wagner
Mais Louis II se désintéresse de la politique. Ce qu’il l’attire, c’est l’art, la musique, et tout particulièrement celle de Wagner à qui il voue une véritable passion. Le jour de ses 16 ans Louis assiste à une adaptation de la fameuse légende de Lohengrin par Wagner, à l’opéra de Munich, il en est totalement subjugué. Il n’aura alors de cesse de s’intéresser à Wagner et l’une des premières initiatives qu’il prendra en tant que roi, sera de partir en quête du musicien. Or Wagner traverse alors une sombre période. Il est sans le sous, en quête d’un théâtre qui accepterait de jouer son œuvre et d’un mécène pour financer ses œuvres. Louis II représente pour lui une véritable chance. Le roi le fait venir auprès de lui et s’emploie à financer les moindres besoins du compositeur. La passion du monarque va bien au de-là, il écrit à Wagner des courriers passionnés, exprimant toute son admiration pour le compositeur. Une passion excessive qui pousse Louis II à satisfaire la moindre exigence de Wagner et à financer son train de vie luxueux. Mais cette relation ne tarde pas à être dénoncée par la presse et ne peut plus perdurer. Les ministres du roi finissent par lui adresser un ultimatum, le forçant à choisir entre sa couronne et le compositeur. Il finit par céder et rompt avec Wagner qu’il renvoie. C’est un véritable déchirement pour le roi qui avait enfin trouvé un sens à sa vie à travers la musique de Wagner.
L’échec du mariage de Louis et Sophie de Bavière
Le scandale sera rapidement effacé par l’annonce d’un évènement qui transporte le peuple d’allégresse, le mariage de Louis avec sa cousine Sophie et sœur d’Elisabeth d’Autriche. Cependant la joie est de courte durée car après avoir repoussé plusieurs fois la cérémonie, le mariage est finalement annulé, un évènement qui le décrédibilise et qui l’éloigne un peu plus de cette réalité qu’il cherche tant à fuir. L’échec de ce mariage confronte également le roi à autre conflit intérieur, son homosexualité contre laquelle il tente de lutter. Après cet échec de mariage, Louis II se replie de plus en plus sur lui-même, il ne quitte presque plus de Hohenschwangau, il ne se rend plus à Munich et ses ministres doivent se déplacer pour aller le voir.
Neuschwanstein, l’impossible quête de bonheur
En 1870 lorsque la guerre éclate entre la France et la Prusse, la Bavière se retrouve de nouveau au cœur d’un conflit armé en vertu du traité d’alliance de 1866. La guerre se solde en 1871 par la victoire de la Prusse sur la France lors de la bataille de Sedan. Une fois l’Autriche et la France les deux plus grands ennemis de la Prusse, hors jeu, plus rien ne peut empêcher la prise de contrôle de la Prusse sur le reste de l’Allemagne. Cette victoire signe la perte d’indépendance de la Bavière. C’est un coup dur pour Louis II qui perd ainsi son pouvoir au profit de cette nouvelle Allemagne unifiée. Il va alors, plus que jamais, se réfugier dans son monde, un monde qui commence avec l’édification du château de Neuschwanstein.
Tout commence en 1864 lorsque le roi visite le château de Pierrefonds situé dans l’Oise près de Compiègne, restauré au XIXème siècle par Viollet-le-Duc, sur invitation de Napoléon II. Louis II va y puiser son inspiration pour la construction d’un château à la gloire d’une époque médiévale romantique qu’il idéalise. Le château est construit tout près du château de Hohenschwangau qu’il domine. Les travaux commencent en 1869 et vont durer 17 ans. Mais la construction ne se fit pas sans difficultés. Le monarque avait tenu à établir son château sur un rocher perché sur les montagnes. Il fallut faire appel à la dynamite pour pouvoir établir les fondations du château sur le rocher escarpé. En outre, les plans du château étaient complexes et faisaient l’objet de changements constants de la part du roi, si bien qu’en 1886 à la mort de Louis II, le château n’était toujours pas entièrement achevé. Louis II pressait en permanence ses ouvriers et architectes pour que les travaux avancent plus vite et Neuschwanstein paie aujourd’hui le prix d’une construction bâclée. La construction eu néanmoins l’avantage de créer de l’emploi à une période de chômage et a été bien accueillie par son peuple.
A l’intérieur du château on se laisse immédiatement prendre par l’ambiance à la fois romanesque et surréaliste, dommage que l’on ne puisse pas y prendre de photos. On peut y voir des fresques qui mêlent légendes, pouvoir et religion. Persifal et Lohengrim côtoient les rois Casimir de Pologne, Ferdinand le Catholique d’Espagne et Louis IX de France. Ce château plein de contradictions ne cesse de nous surprendre. On y trouve ainsi une pièce magnifique servant de salle du trône sous un dôme immense, construite sur le modèle d’une église byzantine. Est suspendu au milieu de la salle, un lustre gigantesque de plus d’une tonne en forme de couronne, symbole d’un pouvoir que Louis ne possède pourtant plus vraiment. Toute la fantaisie du roi se retrouve également dans la construction d’une grotte artificielle à l’intérieur même du château. Il n’y a qu’à pousser les battants de deux portes pour entrer sans transition dans cette pièce aux allures surréalistes. Enfin, une salle immense, la salle des maîtres chanteurs, est dotée d’une formidable acoustique puisqu’elle a été crée pour Richard Wagner. En haut du château, la vue surplombant la vallée est à couper le souffle.
Mais la passion du roi pour l’époque médiévale n’empêche pas Louis II d’être un roi moderne et même à la pointe de la technologie. Le télescope situé dans son château de Hohenschwangau duquel il observait l’avancée des travaux et son projet de ballon volant pour se rendre de Hohenschwangau dans les montagnes, en témoignent. Mais tout rêve a une fin. Le roi dépense des sommes d’argent considérables pour la construction de Neuschwanstein mais également pour d’autres châteaux, une passion qui va le conduire à sa perte. Car non seulement elles coûtent cher au trésor royal, mais elles commencent aussi à faire douter de la santé mentale du roi. Le roi se coupe de plus en plus de la politique alors que son gouvernement devient instable en raison des démissions successives de ses ministres.
Petite anecdote : Le château de Neuschwanstein servit de refuge à la l’œuvre « la nativité » de Gauguin, hébergée dans le musée de Munich et menacée de bombardements pendant la seconde guerre mondiale.
La mort du Louis II, tragique accident ou complot politique ?
Le 13 juin 1886, les corps de Louis et de son psychiatre sont retrouvés noyés sur les rives du lac de Stanberg. S’agit-il d’un meurtre ou d’un suicide? Le mystère reste entier même aujourd’hui. Pour ses contemporains, le roi destitué aurait assassiné son psychiatre avant de se suicider. Une mort qui semble pourtant arranger le gouvernement.
Car le roi est devenu fou pour ses ministres et ils ne tardent pas à comploter contre lui pour le faire interner. Or Louis a un nouveau projet de château et lorsqu’il demande à son premier ministre de lui débloquer un prêt de 6 millions de marks de sa caisse personnelle, son ministre refuse. Louis décide de se tourner vers le parlement. Le ministre craint alors que le parlement accorde ce prêt à Louis II, le décrédibilisant ainsi ou bien a contrario, que le parlement l’accuse d’avoir laissé le roi et la Bavière s’endetter. On cherche donc à faire déposer le roi en prouvant sa folie. On commence à se servir de sa famille, sa tante ayant été internée, ainsi que son frère Otto souffrant de graves problèmes psychologiques. Enfin, le gouvernement se sert du journal intime de Louis II qui révèle tout son mal-être. Mais le gouvernement a besoin d’une caution médicale et fait donc appel à un psychiatre condamnant le roi à l’internement.
Il est arrêté à Neuschwanstein le 10 juin 1986 et est emprisonné au château de Berg jusqu’au jour fatal où il est retrouvé mort avec son médecin au bord du lac. Il serait parti en promenade avec ce dernier, sans autre accompagnement. Personne ne sait ce qu’il est advenu par la suite. Les deux individus ont été retrouvés morts trois heures plus tard, le médecin étranglé et Louis noyé. S’agit-il d’un complot dans lequel on aurait tenté d’assassiner Louis II qui se serait défendu ? Louis a-t-il essayé de s’échapper en supprimant son médecin pour ensuite se suicider? Autant de questions encore dans réponses aujourd’hui.
La foule se réunit en masse pour les obsèques du roi resté malgré tout populaire, pour lui rendre un dernier hommage. Quelques jours à peine après sa mort, le château de Neuschwanstein fut ouvert aux visiteurs. Voici donc comment s’achève l’histoire de Louis II de Bavière et comment commence celle de son château, le château de Neuschwanstein.
Si vous souhaitez en savoir plus sur Louis II de Bavière et ses châteaux, je vous conseille de regarder le documentaire « Louis II de Bavière est-il mort assassiné ? » – Secrets d’Histoire, émission présentée par Stephan Bern
Bonjour,
Félicitations pour cet article très bien documenté, qui permet de mieux comprendre l’impression étrange que l’on peut ressentir en visitant le château de Neuschwanstein. Si le cadre me semble exceptionnel, j’ai été plus déçue par la visite elle-même, trop rapide, trop formatée. Ton article est utile bien avant de faire la visite car il explique en quoi l’histoire et la personnalité du roi pèsent sur ce château finalement assez funeste bien que pour la majorité des touristes il ressemble à un château de conte de fées.
A bientôt,
Fuchinran
Bonjour
J’ai également visité le château de Neuschwanstein et je dois avouer qu’il m’a particulièrement marqué par sa beauté et sa perfection. Ce roi avait réellement un don d’imagination exceptionnel et il l’a prouvé dans toutes ses constructions. C’était un génie.
Bonjour,
ce château a une histoire vraiment incroyable, sa visite est exceptionnelle.
A refaire.
Bertrand.